6.3.4. Un impact limité

Le contrôle des installations nucléaires ne fait donc pas l'objet d'une loi spécifique comme c'est le cas dans d'autres pays, où la loi établit une sorte de pacte entre l'industrie nucléaire et la société civile (Atomic Energy Act aux Etats-Unis, Atomgesetz en Allemagne). Seul un décret pris par le ministre de l'industrie est nécessaire à la création de telles installations, après avis d'une Commission interministérielle. Le ministre de l'industrie, du développement industriel et scientifique, centralise donc officiellement toutes les responsabilités en matière de sûreté des installations nucléaires, même s'il doit obtenir l'accord du ministre de la santé. Mais en pratique, malgré le décret de 1963, le CEA continue d'avoir la haute main sur toutes ces questions.

L'essentiel en matière de sûreté est finalement absent du décret, puisqu'il ne précise pas les modalités de la procédure d'examen de la sûreté de l'installation par les experts. Or cette procédure constitue l'essentiel de l'instruction de la demande d'autorisation de construction. Un petit article (10 bis) précise simplement que la réglementation technique générale concernant la sûreté des installations nucléaires de base est prise par arrêté du ministre du développement industriel et scientifique.

Pour la surveillance (art. 11) des INB et le respect de cette réglementation, il est prévu un corps d'inspecteurs choisis parmi les personnes chargées de la surveillance des établissements classés. Les fonctionnaires du SCPRI veillent de leur côté à l'application de la réglementation concernant les rejets d'effluents radioactifs en vue de la protection de la santé publique. Les contrôles traditionnels restent confiés à leurs administrations respectives, comme l'inspection du travail ou le contrôle technique de la construction et de l'exploitation des installations nucléaires destinées à la production d'électricité. Toutefois ces contrôles doivent s'exercer en liaison avec les inspecteurs des INB et les agents du SCPRI.

En l'absence de procédure formalisée d'examen de la sûreté, le CEA va continuer dans la pratique de combler le vide.

Le récit de Lamiral qui a participé aux réunions de la CSIA pour EDF, montre comment le représentant d'EDF a perçu le processus de mise en place concrète de cette procédure d'examen, décrite par une succession de verbes impersonnels : «En fait, l'usage se créa rapidement de soumettre les projets d'installations nucléaires à l'examen critique d'experts n'ayant pas participé à leur élaboration. Puis cette séparation de fonctions s'institutionnalisa sous forme de services et de commissions spécialisées notamment au sein du CEA, tandis que l'usage s'établissait de soumettre à ces experts des rapports successifs de sûreté décrivant très en détail l'installation et les dispositifs et mesures prévus pour prévenir les incidents ou en limiter les conséquences.» 401 Cette construction répond en fait très exactement à la philosophie et à la pratique développées au CEA depuis le début des années soixante. Dès les premiers projets d'instauration de la CSIA, les chefs du CEA envisageaient que cette instance ne se limite pas à un rôle d'examen des piles du CEA, mais qu'elle soit à la base d'une future organisation nationale du contrôle de la sûreté, devant de plus jouer un rôle dans les confrontations internationales. C'est bien le CEA qui a l'initiative et qui façonne le fonctionnement de l'expertise de la sûreté des installations nucléaires en France. Ce monopole de l'expertise restera la règle jusqu'à la mise sur pied officielle de groupes d'experts dits «groupes ad hoc», en 1967. Mais encore à cette date, les idées et les hommes du CEA continueront de jouer un rôle majeur.

Notes
401.

Lamiral, op. cit., p. 296.