6.4. Examen des rapports de sûreté des réacteurs EDF2 puis EDF3 par la CSIA

Malgré le décret ministériel, la CSIA, seul organisme expert en matière de sûreté nucléaire, poursuit donc l'examen des rapports de sûreté des installations d'EDF.

6.4.1. Examen du dossier d'EDF 2

C'est ainsi que nous retrouvons les représentants d'EDF pour la présentation du dossier d'EDF2 devant la CSIA le 27 juillet 1964. 402 Aux côtés du Haut-Commissaire Francis Perrin, sont présents les directeurs du CEA, Gauvenet, Perineau, Bugnard, Gemahling, Horowitz, Labrousse, Galley et les présidents des cinq sous-commissions, Bourgeois, Lecorche, Régnaut, Menoux, Capet. Les représentants d'EDF sont messieurs Audy, Delpla, Etienne, Fays, Foulquier, Lamiral, Laurent, Martin, Passerieux.

Comme tous les réacteurs à uranium naturel modérés au graphite, le réacteur EDF2 est marqué par le gigantisme. Mais avec EDF2 on franchit une étape supplémentaire. La puissance prévue est de 200 MWe. Le cœur du réacteur est un empilement cylindrique de plus de 2000 tonnes de graphite, de 14 mètres de diamètre, 8,4 de hauteur. 2000 canaux réservés au combustible contiennent 23 700 cartouches d'uranium naturel (240 tonnes en tout). Les éléments combustibles d'EDF2 ont un diamètre légèrement supérieur à celui des barreaux d'EDF1 (18/40 contre 14/35 mm) et possèdent une chemise terminée à sa partie inférieure par une petite selle tenue par un fil d'acier inoxydable. Le tout est placé dans un caisson d'acier, sphérique cette fois, de 18 m de diamètre. Le chargement-déchargement du combustible est effectué au moyen d'un système compliqué composé de deux machines pesant 100 tonnes chacune. L'unique boucle d'extraction de chaleur d'EDF1 et sa soufflante de CO2 a été remplacée par 4 boucles véhiculant 15 000 t/h de CO2, grâce à quatre soufflantes. Au total, EDF2 représente plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes de béton. Le toit est à 50 mètres au dessus du sol, surmonté de deux cheminées d'une dizaine de mètres de hauteur. 403

Un rapport de sécurité a été rédigé par EDF. Le chapitre X (29 pages) présente l'étude des accidents, classés en six grandes catégories : les accidents de réactivité (à l'arrêt, au démarrage, en puissance, et les instabilités spatiales du flux neutronique), les accidents des circuits de gaz, les accidents des circuits secondaires, l'accident de dégonflage et divers accidents. L'introduction du chapitre présente l'esprit des études d'accidents directement inspirée du concept américain d'accident maximal crédible : l'étude des «accidents susceptibles d'influence sur la sécurité du réacteur en fonctionnement ou à l'arrêt» est menée en se plaçant «dans les conditions les plus pessimistes tout en demeurant réalistes, de façon à obtenir des résultats correspondant à des cas limites (vitesse maximale de montée des barres - absence d'interaction des jets en cas de rupture de conduite - etc.).» 404 La plupart des études partielles ont été exécutées sur calculateur numérique IBM 7090.

La séance de la Commission a pour objet l'étude des dossiers du démarrage à basse puissance d'EDF2 et de l'Atelier de Matériaux Irradiés de Chinon. M. Bourgeois présente le dossier. Les problèmes de site ont déjà été étudiés à l'occasion de l'examen du dossier d'EDF1. Bourgeois tient à rappeler que le bâtiment sphérique d'EDF1 ne constituait pas une enceinte étanche, bien qu'on ait essayé d'en tirer parti pour limiter la diffusion d'effluents gazeux en cas d'incident. Le réacteur EDF2 n'a pas non plus d'enceinte étanche. L'avis qui est demandé par EDF à la CSIA ne porte que sur les essais à basse puissance. Aussi M. Bourgeois se propose-t-il de n'étudier avec quelques détails que les problèmes relatifs aux deux points qui ont paru essentiels : les barres de contrôle et les expériences de neutronique. Il aborde l'examen du mécanisme des barres, qui présente la particularité essentielle d'être à commande pneumatique positive. Le piston met environ 1 seconde pour accomplir sa course et consomme 500 g de CO2 par course. Le système comprend une réserve de 38 litres de CO2, capable d'assurer la chute des barres en cas de défaillance du circuit. Des essais d'endurance ont été effectués avec succès sur un treuil : ils comprenaient 2 000 montées de 8 m et 2000 chutes de barres. En plus de cette réserve de CO2 une autre sécurité existe : en cas de dépressurisation, la chute de 12 barres de sécurité directe est commandée par un dispositif à soufflet qui désolidarise la barre de la partie supérieure qui la retient hors du cœur.

M. Bourgeois indique ensuite la procédure prévue pendant la période des essais. Chaque essai fera l'objet d'une fiche technique, établie par un groupe de rédaction, et définissant la composition de l'essai. Fidèle à sa doctrine de souplesse dans les relations entre l'exploitant et la sous-commission, M. Bourgeois propose, pour simplifier et accélérer les liaisons avec EDF, que l'ingénieur représentant le CEA sur place soit habilité à rédiger le paragraphe «sécurité» de chaque fiche.

Le but des essais à faible puissance est, dans un premier temps, d'effectuer l'étalonnage des barres de contrôle, les mesures de période, les mesures d'anti-réactivité, à une puissance comprise entre 100 W et 1 KW. Une deuxième série d'essais aura pour but la détermination de la forme des courbes de flux, à une puissance de 100 KW.

Pour répondre à une critique qui avait été émise par la CSIA à propos d'EDF1, M. Laurent donne les caractéristiques des chaînes de contrôle et de sécurité pour ces essais et montre qu'elles se recouvrent convenablement. Sur demande du Haut-Commissaire, M. Audy d'EDF déclare qu'on ne peut guère actuellement faire de prévisions tant soit peu sûres sur l'importance possible des fuites de CO2, précisant qu'on peut espérer qu'elles seront de moins de 5t/jour.

Notes
402.

PV CSIA, 27 juillet 1964. Archives CEA, Fonds HC, F5 2655.

403.

D'après en particulier : Tanguy, P., Bacher, P., «Réacteurs à uranium naturel et graphite», Energie Nucléaire, Vol. 3, N°2, mars-avril 1961, pp. 176-185. Tanguy et Bacher sont alors ingénieurs au CEA.

404.

EDF2, Rapport de Sécurité, Chapitre X, p. X.2.