6.5. Décret de 1963 (suite). Examen d'EDF4 et relations CSIA-CIINB

Plus d'un an après la promulgation du décret sur les Installations Nucléaires de Base, les rapports de la CSIA et de la Commission Interministérielle des Installations Nucléaires de Base (CIINB) se précisent. Lors de la séance de la CSIA du 22 décembre 1964, son secrétaire, M. Long, donne lecture d'une lettre 408 adressée par le Ministre d'Etat chargé de la Recherche scientifique et des Questions Atomiques et Spatiales, Gaston Palewski, à l'Administrateur Général, au sujet de la demande d'autorisation présentée par EDF pour la centrale de Saint-Laurent des Eaux, EDF4.

Dans cette lettre le Ministre d'Etat demande que le CEA procède à l'instruction technique de cette affaire et à cet effet, la soumette à l'examen de la CSIA. Deux inspecteurs des Etablissements classés, mis par le Ministre de l'Industrie à la disposition du Ministre chargé de L'Energie Atomique, sont également saisis de l'affaire; ils seront chargés du contrôle de l'installation. Il est demandé qu'ils participent, en liaison avec la CSIA, à l'élaboration des prescriptions techniques, nucléaires et non nucléaires, qui devront être mises en œuvre par EDF. Cette lettre fixe donc le rôle du CEA - et plus particulièrement de la CSIA - dans l'instruction des dossiers soumis à la procédure des Installations Nucléaires de Base.

Mais cette évolution est aussi révélatrice du fait que les pouvoirs publics deviennent plus exigeants en matière de sécurité, même vis à vis du CEA. En effet, le Ministre Délégué chargé de la recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales a décidé de faire procéder au contrôle des installations nucléaires de base existant antérieurement au décret du 11 décembre 1963 : ces installations n'avaient pas nécessité de décret d'autorisation mais avaient seulement été «déclarées» par le CEA. Aux termes du décret (article 11) cette inspection est assurée par des Inspecteurs des Etablissements Classés mis à la disposition du Ministre chargé de l'Energie Atomique et elle doit porter sur l'application de la réglementation des installations nucléaires de base et notamment des prescriptions techniques d'exploitation. Le Ministre demande que le CEA lui fasse parvenir pour chaque réacteur un dossier technique qui sera mis à la disposition de l'inspecteur compétent et qui devra comprendre en premier lieu un rapport descriptif de l'installation, un rapport de sûreté et enfin un rapport sur les dispositifs de contrôle et les consignes générales d'exploitation.

La lettre de décembre 64 entérine ce qui se faisait jusque-là, mais elle rajoute un aspect important qui n'avait pas été mis en œuvre dans le cadre de l'expertise interne du CEA : le contrôle par des inspecteurs. A ce sujet, M. Bourgeois pose la question de savoir à quel stade les inspecteurs devront être associés aux travaux de la Sous-Commission de Sûreté des Piles. Le Haut-Commissaire estime qu'ils doivent intervenir après l'étude de sûreté proprement dite, au moment de l'élaboration des prescriptions à insérer dans le décret d'autorisation.

Le CEA garde en fait la haute main sur l'expertise technique via la SCSP, les inspecteurs du ministère n'ayant sans doute pas les compétences pour juger de la sûreté des installations; le Haut-Commissaire leur accorde le rôle de vérificateurs du respect des prescriptions fixées à l'exploitant. Dans une lettre à Bourgeois, le Haut-Commissaire précise les modalités de cette inspection : «En accord avec M. Salelles, Conseiller du Ministre pour l'application de la réglementation des installations nucléaires de base, il est entendu que l'on pourra faire appel, aussi largement que possible, aux documents établis pour la CSIA : l'inspection portant essentiellement sur l'application des décisions de la CSIA, considérées comme valant prescriptions techniques d'exploitation. Enfin, il est entendu que le CEA sera prévenu en temps utile de la venue des inspecteurs, afin de pouvoir en aviser les Directeurs de Centre et les Directeurs techniques responsables : le CEA devra mettre à la disposition de l'inspecteur désigné un ingénieur spécialisé dans les questions de sûreté des réacteurs.» 409

Est-ce à la suite de ce rappel de l'exigence du contrôle par les pouvoirs publics ou à la mauvaise volonté des unités opérationnelles du CEA, toujours est-il que Bourgeois s'adresse au Haut-Commissaire en avril 67 pour réclamer la mise sur pied de ce contrôle au sein-même du CEA. Il rappelle en la citant la note de service n°C 278 du 27 janvier 1960 actant la création de la CSIA. Celle-ci prévoyait que la Commission de Sûreté des Installations Atomiques avait pour mission «de s'assurer de la conformité des réalisations avec les certificats délivrés», et qu'elle disposait pour mener à bien ses travaux «de groupes de contrôle composés d'experts choisis pour leur compétence particulière, responsables de leurs actions devant la seule commission.» Le président de la Sous-Commission de Sûreté des piles note sur un ton d'où la diplomatie a du mal à prendre le pas sur l'irritation : «Jusqu'ici, aucune application de ces dispositions n'a été faite. En ce qui concerne les piles du Commissariat, je vous propose de commencer à mettre progressivement sur pied l'organisation prévue.» 410 Il suggère d'utiliser à cet effet les services d'un ingénieur, Monsieur Peffau, qui pourrait être affecté au cabinet du Haut-Commissaire, et dont le lieu de travail serait situé à Saclay auprès du GTSP. Il propose également que la désignation des piles à contrôler et la consistance des vérifications à effectuer fassent dans chaque cas l'objet d'une note du président de la CSIA. Monsieur Peffau est effectivement nommé par le Haut-Commissaire, à compter du 1er juin 1967. 411

Il s'agit donc là de l'institutionnalisation du contrôle au sein du CEA. Jusqu'ici, la commission a promulgué un certain nombre de règles, émis certaines restrictions au fonctionnement des installations, pris des décisions. Mais elle ne s'était pas donné les moyens d'en contrôler l'application. Aucun inspecteur n'avait été désigné pour cela. Cette lacune s'explique très vraisemblablement par un problème de moyens et de priorités, car cette tâche de contrôle demandait de mobiliser des effectifs dont on considérait qu'ils ne pouvaient pas être enlevés à la recherche proprement dite.

L'importance de cet aspect de contrôle de la sûreté nucléaire peut être souligné par une anecdote rapportée par Pierre Tanguy 412 à propos de la première inspection de Peffau sur Cabri à Cadarache. Peffause rend donc en salle de commande. L'installation, dans laquelle sont effectuées des simulations d'accident, est située à 200 mètres de là, derrière une bute, au cas où un problème survienne, pour qu'au moins le personnel ne soit pas irradié. Peffau fait remarquer aux ingénieurs qu'il y a des gens qui travaillent dans l'installation en ce moment. Ce à quoi les ingénieurs lui répondent que cela ne pose pas de problème parce que l'installation est arrêtée. Il demande alors si l'on est bien sûr qu'il est impossible de la redémarrer. On lui répond que oui, «bien sûr que oui, parce qu'il y a une clé, la clé a été tournée, et si on veut redémarrer l'installation, ça ne redémarre pas !» Alors Peffau appuie sur le bouton de mise en marche, et l'installation commence à démarrer ! L'installation a été tout de suite arrêtée, mais démonstration était faite qu'il n'y a pas de bonne expertise sans inspection. C'est une des conclusions du futur successeur de Bourgeois : il est nécessaire de retourner «sur le terrain» et ne pas se contenter d'expertise sur dossier, et pour le moins, de contrôler l'application des décisions prises.

C'est à l'instigation du ministère de l'industrie, dans le cadre du décret de décembre 1963 qu'est mise en place une inspection des installations du CEA, conduisant celui-ci en réaction à établir sa propre inspection interne. Le contact avec le monde des installations classées et ses traditions, où l'inspection est de rigueur, impulse la mise sur pied de cette composante importante de la sûreté : l'inspection.

Quatre ans après la promulgation du décret de décembre 1963, une nouvelle étape est franchie dans l'indépendance de l'expertise de la sûreté par rapport au CEA. Dans le cadre de la Réglementation des Installations Nucléaires de Base et «suite à un accord entre le Ministre d'Etat chargé de la Recherche Scientifique et des Questions Atomiques et Spatiales et le Ministre de l'Industrie» 413 , la Commission de sûreté du CEA est remplacée par un groupe (groupe ad hoc) d'experts pour la mise au point des prescriptions techniques qui doivent être incluses dans les décrets d'autorisation de création des centrales nucléaires d'EDF et pour l'examen de la sûreté de ces installations. Le groupe, dont les experts sont désignés par les deux ministres, sera constitué pour chaque installation sur une base tripartite : CEA, EDF, administration. Il entre en fonction en juin 1967 et définit des prescriptions pour les centrales de Saint-Laurent-des-Eaux et de Bugey.

Notes
408.

Lettre 64-6350, du 16 Décembre 1964.

409.

Note HC/66-208 du 21 avril 1966.

410.

Note du 14 avril 1967 signée Jean Bourgeois, adressée au Haut-Commissaire, intitulée «Contrôle de la sécurité des Installations Atomiques».

411.

Note Service HC N°129 du 12/6/67.

412.

D'après un entretien avec Pierre Tanguy.

413.

Rapport Annuel CEA, 1967, p. 145.