8.2.3.1. Pierre Tanguy

Pierre Tanguy, chef du DSN à partir de 1971, était jusque-là assistant du Directeur des Piles Atomiques, responsable des projets de la filière graphite-gaz au CEA. Pierre Tanguy devient en quelque sorte le N°2 historique de la sûreté nucléaire en France. Il succédera à Jean Bourgeois lorsque ce dernier partira à la retraite en 1978.

Pierre Tanguy, Cliché CEA
Pierre Tanguy, Cliché CEA

Pierre Tanguy est ancien Elève de l'Ecole Polytechnique (X 1948). A la sortie de Polytechnique, il effectue grâce à une bourse une année de stage au Massachusetts Institute of Technology (MIT). C'est là qu'il entend pour la première fois parler du nucléaire dans ses applications civiles pratiques, mais, en tant qu’étudiant étranger, il ne peut s’inscrire au stage dans ce domaine réservé aux étudiants américains. De retour en France, il fait deux ans d’école d'application à l'Ecole des ingénieurs de l'aéronautique à Paris. En 1954, la Direction Technique de l’Aéronautique l’envoie pour son premier poste en stage au Commissariat à l'Energie Atomique, pour étudier les applications possibles du nucléaire à la propulsion aérienne. Spécialisé en tant qu’ingénieur de l’Air dans la partie machine (compresseurs, turbines, aérodynamique), sa connaissance de la thermodynamique des gaz lui sera fort utile par la suite au CEA pour étudier les réacteurs nucléaires refroidis au gaz.

Au milieu des années cinquante, un vaste champ d'applications autres que l’électricité était envisagé pour l’énergie atomique, par les Etats-Unis en particulier, leaders incontestés dans le domaine. La première application était la conception d’avions qui pourraient voler très longtemps sans avoir à renouveler leur combustible. Mais ces appareils s'avéreront trop lourds à cause des protections contre les rayonnements. Par contre, une application de l'énergie atomique connaîtra un véritable succès dans tous les pays : les sous-marins. Une autre application possible était la propulsion des fusées pour des voyages interplanétaires, car là-aussi cette source d'énergie extrêmement concentrée pouvait éviter d'emporter les énormes poids d'hydrogène et d'oxygène dans l'espace, ce qui permettait d'envisager des voyages non plus simplement autour de la terre ou sur la lune. Dans le cas français, ces espoirs seront assez rapidement déçus.

Pierre Tanguy, envoyé au CEA pour se former dans les centrales électronucléaires, acquiert alors une spécialisation de physicien des réacteurs. Il travaille d'abord comme ingénieur au sein du Service de Physique Mathématique d'Horowitz dont l'activité concerne le cœur-même de la réaction nucléaire. Il trouvera ce domaine tellement passionnant, que rentré au CEA pour un an, il y restera trente ans ! A partir de là il suit un profil de carrière qu’il qualifie d'“assez normal” : ingénieur spécialiste du réacteur (1954), puis chef de projet pour tous les projets de réacteurs de la filière française (1959), assistant du Directeur des Piles Atomiques (1964), il coordonne le projet international pour la centrale de Vendellos. Il se tourne vers la sûreté après l’abandon de la filière française : “En 1970, on a abandonné ce type de filière, donc les recherches se sont arrêtées, on est passé aux centrales à eau ordinaire, et j'ai changé de veste, si je puis dire, et je suis passé dans les aspects sécurité.” 503 Jusque-là ingénieur dans le domaine du développement des réacteurs, il relate en ces termes son expérience antérieure en matière de sûreté : “je faisais de la sûreté comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, c'est-à-dire : quand on était responsable des études de cœur, la majorité de nos études étaient orientées «que risque-t-il de se passer ?» Donc on étudiait les cas accidentels, la cinétique etc. On faisait même des manips dans lesquelles on vérifiait que le modèle de calcul était bon. Mais ça n'était pas ma préoccupation exclusive.”

C’est en particulier la personnalité de Jean Bourgeois qui le fait opter pour la sûreté lors de la réorganisation du CEA. En tant qu'assistant au Directeur des Piles Atomiques, il avait pu apprécier les qualités humaines de Bourgeois, alors chef du DEP. Mais d'autres motivations l’ont également conduit vers la sûreté : “C'est un homme [Bourgeois] qui avait une très grosse réputation internationale, il a été le premier président du CREST 504 , le Comité des techniques de sûreté des réacteurs, qui est devenu ensuite CSIN. Parce que la coopération internationale, c'est un truc en fait qui m'a beaucoup intéressé, c'est pour cela que je suis venu chez Bourgeois; je parlais bien l'Anglais à cause de mon passage un an aux Etats-Unis, j'avais des rapports fréquents avec des Anglais qui travaillaient sur des techniques proches des nôtres et puis j'avais fait un premier voyage aux Etats-Unis, et là cela me donnait l'occasion, puisqu'on avait travaillé sur la sûreté des réacteurs à eau ordinaire, les techniques américaines, d'avoir des relations avec les Américains. Et l'un de mes premiers voyages, avec Bourgeois d'ailleurs, a été pour prendre contact avec nos homologues et cela a été extrêmement [insistance sur ce dernier mot] riche. Je suis arrivé à une bonne époque, qui était celle où les Américains étaient convaincus que pour la sûreté il fallait s'ouvrir; qu'il n'y avait pas de secret commercial qui jouait, que c'était trop important; nous, c'était la carte qu'on voulait jouer, parce qu'on avait beaucoup plus à apprendre d'eux qu'eux de nous, mais on était prêt à leur dire tout ce qu'on faisait, et ça a très bien marché.” 505

Notes
503.

Entretien avec Pierre Tanguy.

504.

Le CREST, Comité sur la technologie de sûreté des réacteurs (Committee on Reactor Safety Technology) est l’un des comités techniques de l’Agence pour l’Energie Nucléaire (AEN) de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE). Fondé en 1965, il regroupe 21 experts de sûreté nommés par les pays membres de l’OCDE et d’Euratom. Son premier président est le Britannique Farmer, le Français Vathaire assure le secrétariat (1965-1969). Le principal but du CREST est d’améliorer la coopération internationale sur les aspects principaux de recherche en matière de sûreté des réacteurs nucléaires. Le CREST se transforme ensuite en Comité sur la Sûreté des Installations Nucléaires (CSNI).

505.

Entretien avec Pierre Tanguy.