8.3. Les Groupes Permanents : la formalisation du processus d’expertise

La réorganisation du CEA aboutit au transfert à l’administration des pouvoirs réglementaires en matière d’énergie nucléaire. Ce transfert était souhaité par l’administrateur général qui entendait, explique Bourgeois, “se décharger des responsabilités administratives de sûreté qui devaient relever du ministère de l'Industrie. Cette dernière opération, assez délicate se termina en mars 1973 avec la parution d’un décret qui créa le Service central de Sûreté des Installations nucléaires (SCSIN).” 510

Etant donné les lacunes du décret de 1963, les groupes de sûreté du CEA avaient eu de fait la charge d’étudier la sûreté des piles extérieures au CEA et de proposer à la Commission Interministérielle des Installations Nucléaires de Base (CIINB) les projets d’autorisation. A partir de 1967, avec la multiplication des installations EDF, avait été mis en place un groupe d’experts “ad hoc” pour la sûreté des réacteurs, dont les membres étaient désignés conjointement par le ministre de l’Industrie et le ministre délégué, chargé de la Recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales. Ce groupe “ad hoc” était un groupe tripartite où étaient représentés le CEA, EDF et l’industrie. Un représentant d’EDF, témoignant de la perception par les cadres d’EDF de la nature de ce groupe, parle lui de “groupe ad hoc du CEA”. 511 En tout état de cause, le groupe “ad hoc” devient “groupe permanent” par décision du ministre du développement industriel et scientifique le 15 mars 1972 512 .

Trois groupes permanents sont créés auprès du Ministre du Développement Industriel et Scientifique (Direction de la Technologie, de l’Environnement Industriel et des Mines). Ils sont chargés d’étudier les problèmes techniques que posent en matière de sûreté la création, la mise en service, le fonctionnement et l’arrêt des installations nucléaires de base et de leurs annexes. Un premier groupe permanent est chargé des réacteurs nucléaires, un second groupe traite des problèmes relatifs aux accélérateurs de particules et un troisième est chargé de toutes les autres installations nucléaires de base.

L’article 2 de la décision ministérielle précise la composition du groupe permanent chargé des réacteurs (GPR) : celui-ci comprend, outre un président, cinq représentants du Ministère du Développement Industriel et Scientifique (un représentant du Secrétaire Général de l’Energie, deux représentants du Directeur du Gaz, de l’Electricité et du Charbon, deux représentants du Directeur de la Technologie, de l’Environnement Industriel et des Mines), quatre experts nommés sur proposition du Commissariat à l’Energie Atomique, et quatre experts nommés sur proposition d’Electricité de France. Cette composition traduit bien les rapports de force entre les deux agences sous la tutelle du ministère (EDF et CEA), comme ceux au sein du ministère lui-même entre DIGEC (Corps des Ponts et Chaussées) et DITEM (Corps des Mines), mais aussi la volonté de ce dernier de jouer son rôle d’arbitre. Mais on reste dans le cadre du ministère de l’industrie, seul représenté. Les membres des groupes permanents sont nommés par décision du Ministre pour une durée de cinq ans renouvelable. Les présidents des groupes permanents sont nommés, sur proposition du Directeur des Mines et après avis du Haut-Commissaire à l’Energie Atomique, par décision du Ministre du Développement Industriel et Scientifique pour une durée de cinq ans renouvelable (article 4). De fait, la tradition s’établit de confier la présidence du groupe permanent “réacteurs” au directeur de l’organisation de sûreté des réacteurs du CEA. Les présidents du Groupe Permanent Réacteurs seront successivement Jean Bourgeois (1972-1978), Pierre Tanguy (1978-1985) et François Cogné (1985-2001).

Les groupes permanents sont chargés de donner des avis et de faire des propositions au ministre sur les prescriptions techniques générales pour éviter les dangers ou les inconvénients pouvant résulter de la création ou du fonctionnement des installations nucléaires. Le processus d’examen est ainsi codifié de façon plus nette puisque les groupes permanents doivent également fournir des avis sur la sûreté de chaque installation nucléaire, éventuellement assortis de prescriptions techniques particulières, lors des différentes étapes de la vie de l'installation : lors de l’instruction de la demande d’autorisation, avant la mise en exploitation normale mais aussi après, lorsque le ministre est appelé à intervenir par les dispositions de la réglementation générale ou du décret d’autorisation de création (article 7).

C’est le Ministre du développement industriel (DITEM) qui saisit les présidents des groupes permanents (GP) des questions qui doivent faire l’objet d’un examen par les groupes. Les présidents des GP transmettent alors les dossiers correspondants au CEA pour étude et avis. Le CEA est le rapporteur de ces dossiers devant les groupes permanents et il charge l’un de ses experts de présenter ce rapport au Haut-Commissaire. Les présidents rendent compte au Ministre du Développement industriel des travaux effectués et des avis formulés par leurs groupes. Enfin, le Directeur de la Technologie, de l’Environnement Industriel et des Mines est chargé d’assurer le bon fonctionnement des groupes permanents. Il est clairement affirmé qu'il doit, pour l’exercice de sa mission, s’appuyer “en tant que besoin sur le Commissariat à l’Energie Atomique.” (article 10)

La présidence du premier groupe permanent “réacteurs” est confiée à Jean Bourgeois, nommé le 19 juillet 1972 par le ministre du Développement industriel et scientifique.

Au travers de ces réorganisations, le CEA perd le rôle d’autorité qui avait été dévolu à la Commission de Sûreté des Installations Atomiques depuis le début de l'année 1960, au profit de l'administration. Mais il est conforté dans son rôle d’expert technique.

Notes
510.

Bourgeois, Jean, “La sûreté nucléaire”, in P.-M. de la Gorce (ed.), L’aventure de l’atome, tome 2, Flammarion, 1992, pp. 283-322, p. 296.

511.

Dürr, Michel, “Le tournant nucléaire d'Electricité de France” in: Henri Morsel (dir.), Histoire de l’électricité en France, tome III, Paris, Fayard, 1996, pp. 683-768, p. 768.

512.

Décision relative à la création et au fonctionnement de groupes permanents chargés d’étudier les aspects techniques de la sûreté des installations nucléaires de base, signée du ministre du développement industriel et scientifique, François Ortoli, et pour ampliation, par le secrétaire général de l’énergie, J. Couture, le 15 mars 1972.