8.4.2. Les réformes de 1973 : le SCSIN

8.4.2.1. Les textes de création

Le Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires (SCSIN) est créé par un décret en date du 13 mars 1973 518 . Il faut tout d'abord remarquer que le nouveau service est instauré au sein du ministère de l'industrie, ce qui ne fut pas sans poser quelques problèmes, notamment avec le ministère de la Santé. Lors des discussions ministérielles autour de la création du service, le professeur Pierre Pellerin, chef du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI), pouvait signaler à son ministre, Madame Veil, qu'il était peut-être inconvenant que ce soit un INGENIEUR qui soit chargé de la sûreté des installations nucléaires alors qu'un médecin aurait été beaucoup plus indépendant des groupes de pression industriels. Le Premier ministre, Jacques Chirac, arbitrera en faveur des ingénieurs.

Mais c'est le Corps des Mines qui est chargé de la sûreté nucléaire, alors que les Ponts et Chaussées auraient pu naturellement revendiquer cette responsabilité. Dépendant normalement du ministère des Travaux Publics, des ingénieurs des Ponts et Chaussées étaient traditionnellement détachés au ministère de l'industrie, à la Direction du Gaz et de l'Electricité (DIGEC), parce que jusque-là l'électricité provenait essentiellement des centrales hydroélectriques et des centrales thermiques, dont ils assuraient la construction. Les Ponts étaient d'autant plus intéressés que l'époque de construction des grands barrages se terminait, et certains ingénieurs du service des grands barrages pouvaient penser se reconvertir dans le contrôle des centrales nucléaires. Les ingénieurs des mines, eux, s'étaient spécialisés jusque-là dans l'industrie lourde, les mines, la sidérurgie, l'industrie pétrolière, et paraissaient plus qualifiés et plus préparés à un rôle qui n'était pas un rôle de conception et de construction mais un rôle de surveillance et de contrôle, notamment par le fait qu'ils étaient chargés du contrôle des appareils à pression.

L'article 1 du décret du 13 mars annonce tout d'abord la création d'un Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire (CSSN), placé auprès du Ministre de l'Industrie. Il se veut un organisme de conseil, de haut niveau, chargé d'émettre toutes recommandations utiles pour accroître l'efficacité de l'action poursuivie dans le domaine de la sûreté nucléaire. Par cette création, le gouvernement entend sans nul doute montrer à l'opinion qu'aucun aspect des problèmes posés par la sûreté des installations nucléaires ne sera oublié.

L'article 2 du décret prévoit la composition qui sera celle du CSSN de 1973 à 1982 : outre son président, le conseil compte deux vice-présidents (le secrétaire général de l'énergie et le haut-commissaire à l'énergie atomique), un membre de l'Assemblée nationale et un membre du Sénat, le président de la CIINB, un représentant du ministre de l'intérieur, un représentant du ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de la protection de la nature et de l'environnement, le chef du SCPRI au ministère de la santé publique, le directeur du budget au ministère de l'économie des finances, les chefs de la DITEIM et de la DIGEC du ministère du développement industriel et scientifique, le directeur général d'Electricité de France, et cinq personnalités choisies en raison de leur compétence technique, économique ou sociale 519 . Le directeur délégué au CEA chargé de la protection et de la sûreté nucléaire ainsi que le chef du SCSIN assistent aux réunions du Conseil. A l'exception des personnes siégeant ès qualités, les membres du conseil sont nommés par arrêté du ministre du développement industriel et scientifique. (art. 3)

Il s'agit donc d'un organisme regroupant essentiellement les représentants d'institutions concernées par le développement de l'énergie atomique, au plus haut niveau. Les opposants et les représentants des salariés ne seront invités à siéger au Conseil supérieur qu'après une réforme en 1982. Pendant toute cette période, le Conseil supérieur est présidé par le Professeur Louis Néel, Prix Nobel, fondateur du Centre d'Etudes Nucléaires de Grenoble du CEA. 520

Le point marquant du décret est l'article 5 qui annonce la création, au sein du ministère du développement industriel et scientifique, d'un Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires (SCSIN), placé auprès du directeur de la technologie, de l'environnement industriel et des mines, et regroupant les moyens du ministère en matière de sûreté nucléaire. Le service est principalement responsable de l'étude, de la définition et de la mise en œuvre de la politique en matière de sûreté nucléaire. Il est chargé «de préparer et de mettre en œuvre toutes actions techniques du département relatives à la sûreté des installations nucléaires et en particulier : élaborer la réglementation technique concernant la sûreté des installations nucléaires et suivre son application; Organiser et animer l'inspection de ces installations (…) ; D'examiner pour avis les programmes du CEA qui s'y rapportent ainsi que les propositions budgétaires correspondantes et suivre l'exécution des programmes; De suivre, le cas échéant, les travaux de recherche et développement des autres établissements publics relevant du département dans le domaine de la sûreté nucléaire; De recueillir toutes informations utiles sur les problèmes de sûreté nucléaire et les mesures prises en ce domaine en France et à l'étranger; De proposer et d'organiser l'information du public sur les problèmes se rapportant à la sûreté; Et d'une façon générale, d'examiner les mesures propres à assurer la sûreté des installations nucléaires, notamment les mesures proposées par le CEA.»

Si cet article du décret officialise la prise de contrôle et la centralisation au niveau de l'administration des questions de sûreté nucléaire, il reste muet sur le problème de fond, à savoir le rôle du nouveau service dans la procédure d'autorisation. C'est une instruction, datée du 27 mars mais non publiée au Journal officiel qui précise ce rôle.

Notes
518.

Décret n° 73-278 du 13 mars 1973 portant création d’un conseil supérieur de la sûreté nucléaire et d’un service central de sûreté des installations nucléaires au ministère du développement industriel et scientifique.

519.

Dans l'ordre des fonctions indiquées, les premiers membres du conseil sont : Louis Néel (Président), MM. Jean Blancard, Jacques Yvon, (vice-présidents), Maurice Jarrige (A.N.) , Michel Chauty (Sénat), Henri Lavaill (CIINB), Jean-Pierre Foulquie (Intérieur), Jean-François Saglio (Environnement), Pierre Pellerin (SCPRI), Renaud de la Genièvre (Finances), Jean-Claude SORE (DITEIM), Maurice Legrand (DIGEC), Marcel Boiteux (EDF). Sont nommés en 1973 au titre des personnalités le journaliste scientifique Michel Chevallet; le Professeur Raymond Latarjet, Directeur de l'Institut du Radium; Henri Malcor, Président d'Honneur de Creusot-Loire; le Professeur Paul Reuter de l'Université de Droit, d'Economie et des Sciences Sociales de Paris; Yvon Bonnard, Inspecteur Général d'Electricité de France.

520.

Les archives du CSSN n'ont pas conservé les procès verbaux ou les comptes-rendus de ces premières réunions. Nous ne savons donc pas quelle a été la réalité du travail du conseil. Mais deux comptes-rendus de réunion en 1974 et 1975 présents dans les archives des années postérieures, montrent des débats où les uns et les autres s'expriment très ouvertement sur des questions sensibles. On ne trouve pas cette même liberté de ton des responsables dans les comptes-rendus des réunions qui suivent l'ouverture du conseil à partir de 1982.