8.4.2.3. Les moyens

Le SCSIN dut se doter de moyens propres aussi bien humains que matériels. Comme en témoigne de façon un peu ironique un responsable de ce même service vingt-cinq ans plus tard, de grands progrès restaient à effectuer dans l'indépendance de l'autorité administrative de sûreté à l'égard du CEA : «Seul un petit nombre de fonctionnaires put être affecté, dans un premier temps, au nouveau service. Le gros des compétences en matière de sûreté resta au CEA. Le texte créateur prenait acte de cette situation. Il flanquait, par exemple, le chef du SCSIN d’un adjoint pour les questions scientifiques et techniques qui appartenait au CEA. [C'est l'article 7 du décret du 13 mars 1973]. De même, quand se posa la question de l’implantation géographique du service, celui-ci s’installa tout naturellement… à Saclay, sur un site du CEA. Le cordon ombilical était loin d’être coupé.” 523 Au démarrage, le nouvel organisme a un effectif réduit : il est composé de cinq ingénieurs, dont trois issus du corps des Mines.

Le SCSIN est créé au sein de la Direction de la technologie, de l’environnement industriel et des mines (Direction des Mines), déjà chargée du contrôle des appareils à pression. Un ingénieur des mines, Jean Servant 524 , Adjoint du Directeur de la DITEIM depuis 1970, est nommé chef du nouveau service. Son adjoint n'est autre que Jean Bourgeois. Outre l'appui technique du Département de Sûreté Nucléaire du CEA, certains ingénieurs du CEA sont détachés au Service central, au contact desquels les ingénieurs du service issus du Corps des Mines se forment à la réalité des centrales nucléaires.

Il faut attendre 1975 et la création d'une redevance sur les installations nucléaires de base pour que le nouveau service dispose de moyens substantiels. Ces redevances sont versées par les exploitants au titre des demandes d'autorisation de création et des autorisations réglementaires mais aussi sous forme de redevances annuelles 525 .

La création d'un organisme de contrôle de la sûreté nucléaire est donc le fruit d'un savant arbitrage entre les différents intérêts parties prenantes de l'énergie nucléaire : CEA, EDF, industriels privés, différents ministères, corps d'ingénieurs rivaux de la haute administration, opinion publique. Les négociations entre ces divers groupes aboutissent à la création d'un service central de contrôle, au sein du ministère de l'industrie, distinct des promoteurs de l'énergie nucléaire.

Le fait que la sûreté ne soit plus entre les mains du CEA peut rassurer les industriels et EDF, tandis que le CEA conserve l'essentiel de l'expertise technique. Par la création d'un service administratif, l'Etat peut en même temps montrer à l'opinion qu'il assure son rôle de protection du public et de l'environnement. Du point de vue de l'efficacité du contrôle, l'appel à l'expertise du CEA paraît le choix le plus judicieux pour remédier au manque de connaissances dans le domaine du nucléaire des ingénieurs des Mines : ce sont quelques grands noms de la sûreté qui vont assurer la formation des ingénieurs de l'administration, leur transmettre leurs méthodes de jugement. Par ailleurs, l'appel à l'expertise du CEA apparaît la seule voie possible étant donné l'absence d'experts compétents dans le milieu universitaire, situation propre à la France qui la distingue d'autres pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni.

Pour les questions techniques épineuses, le Service central peut s'appuyer sur ses Groupes Permanents d'experts. A l'intérieur de ceux-ci, toutes les «factions» de l'établissement nucléaire sont représentées et peuvent dialoguer sur les différents moyens techniques à mettre en œuvre pour la sûreté, parvenir à un compromis entre leurs intérêts divergents. Sous la houlette des experts du CEA, le dialogue technique si cher à Bourgeois est préservé entre les différentes parties, à l'image de ce qu'était la Commission de Sûreté des Installations Atomiques depuis le début des années soixante.

Pour les questions techniques courantes, le SCSIN fait appel au CEA par l'intermédiaire de son Département de Sûreté Nucléaire. Le DSN peut bénéficier du transfert de nombreux techniciens expérimentés du CEA qui avaient faits leurs armes dans le graphite-gaz, et qui sont désormais disponibles après l'abandon de la filière. Sur le plan de la prise en compte technique de la sûreté, la vision du CEA triomphe et assure la continuité avec les années cinquante et soixante.

Sur le plan de l'efficacité de la promotion du programme nucléaire, le ministère de l'industrie conserve la haute main : c'est en définitive lui qui arbitre entre les intérêts qui pourraient s'avérer antagonistes entre les exigences de sûreté présentées par son service d'une part, et les besoins d'EDF et des industriels de l'autre.

Notes
523.

Philippe Saint-Raymond, “L’autorité de sûreté: la construction d’un système de contrôle», Contrôle, n°125, novembre 1998, pp. 9-10.

524.

Né en 1925, Jean Servant sort dans la promotion 1946 de Polytechnique. Il obtient une licence ès sciences et un DES de mathématiques en 1950. Ingénieur des Mines (1951), il débute sa carrière Outre-Mer comme Adjoint au directeur de la direction fédérale des mines et de la géologie d'Afrique occidentale française du Ministère de la France d'outre-mer (1951-1956); cette direction était chargée à la fois de lever la carte géologique de cette région, de la prospection minière et du contrôle des mines. De retour en France, il s'occupe de l'arrondissement minéralogique de Strasbourg (1957-1958) puis de Metz (1958-1961). De 1961 à 1963 il occupe la fonction d'Adjoint au chef du service de la recherche minière et de la géologie à la direction des mines, avant d'être Chef du service des mines de l'Algérie en 1963. De 1964 à 1968 il est Chef du service technique à la direction des mines : c'est un changement d'orientation dans sa carrière, car ce service s'occupe de tous les problèmes techniques y compris la réglementation des appareils à vapeur, des appareils à pression de gaz. C'est ainsi qu'il rentre en contact avec l'industrie nucléaire puisque les premiers réacteurs français à graphite-gaz avaient un caisson en béton précontraint. Il rédige avec l'aide d'un groupe d'experts l'arrêté portant réglementation de ces caissons, qui est le premier texte réglementaire du nucléaire en France. Il est ensuite nommé chef des services chargés des questions d'eau, de recherche et des techniques industrielles et minières (SERTIM) à la direction des mines (1969-1970), puis Adjoint au directeur de la DITEIM de 1970 à 1973.

525.

Loi de finances rectificative pour 1975 n° 75-1242 du 27 décembre 1975, Art. 17. (J.O. du 28.12.75, p. 13435).