8.4.3. Le Comité Interministériel de la Sécurité Nucléaire (CISN)

Le lancement et la mise en œuvre à partir de 1974 du vaste programme électronucléaire décidé par le gouvernement entraîne une sensibilisation de l'opinion aux problèmes de protection et de sûreté nucléaire. 526 Ceci se traduit notamment par des propositions de partis politiques, de groupes écologistes, réclamant l'indépendance des responsables chargés de contrôler la radioprotection et la sûreté des installations nucléaires, sur le plan technique ou administratif, par rapport à ceux chargés de la recherche, du développement et de l'industrialisation de l'énergie nucléaire.

Côté CEA, on constate avec inquiétude qu'un projet de création d'Agence Nationale de Sécurité a même été évoqué au cours du débat parlementaire du mois de mai 1975, qui a été repris depuis lors en diverses circonstances et notamment comme une proposition formelle par le parti socialiste. Face à ces préoccupations, le gouvernement se voit dans l'obligation d'apporter une réponse qui ne soit pas négative. Lors des débats à l'Assemblée, le ministre de l'industrie annonce qu'il compte effectivement aller dans le sens d'une plus grande indépendance des contrôleurs par rapport aux contrôlés et qu'il souhaite créer un Conseil Supérieur de la Sécurité Nucléaire qui comprenne des personnalités indépendantes. Une mission, dont il prend la tête et qui rassemble les principaux responsables d'EDF, du CEA et le chef du SCSIN, se rend d'ailleurs aux Etats-Unis, pays qui était perçu comme en avance en la matière.

En effet, les mêmes problèmes s'étaient posés quelque temps auparavant dans ce pays, où des contestataires renommés tels Ralph Nader critiquaient le fait que l'Atomic Energy Commission soit à la fois chargée de la promotion et du contrôle de l'énergie atomique. En 1974, l'AEC avait ainsi été abolie et scindée en deux parties : un Department of Energy (DoE) était chargé de promouvoir l'énergie atomique, tandis que le contrôle de la sûreté était confié à une agence indépendante, la Nuclear Regulatory Commission (NRC), entrée officiellement en fonction en janvier 1975.

Une telle agence indépendante des pouvoirs publics étant jugée inconcevable en France car contraire à la Constitution ou à l'idée du système institutionnel français que partageaient les responsables ministériels, le principe d'une telle agence fut rejeté. Par contre, il fut envisagé de créer un organisme qui ait un droit de regard sur tous les aspects de l'industrie nucléaire. Car si l'une des préoccupations majeures concernait la sûreté, c'est-à-dire éviter les accidents, d'autres problèmes se posaient comme la protection contre les rayonnements ou le réchauffement des eaux dû aux centrales. A défaut de créer une agence, il fut décidé d'instaurer, auprès du Premier Ministre, un organisme chargé de coordonner l'action des différents ministères dans ces domaines.

C'est ainsi qu'un décret du 4 août 1975 annonce la naissance d'un Comité interministériel de la sécurité nucléaire (CISN). L'éventail des compétences du comité ne s'étend pas qu'à la sûreté nucléaire mais est élargi à ce qu’on appelle la «sécurité nucléaire», s'inspirant en cela de l'exemple de la NRC. Le décret 527 définit les missions du comité, la «sécurité nucléaire», comme comprenant à la fois :

La tâche du comité est de coordonner l'utilisation des moyens mis à la disposition des départements ministériels intéressés par la sécurité nucléaire et des organismes placés sous leur tutelle, d'examiner le programme des études et recherches à réaliser chaque année par ces ministères et organismes. C’est le cas en particulier du CEA, qui en application du décret du 20 septembre 1970 «propose les mesures propres à assurer la protection des personnes et des biens contre les effets de l'énergie atomique et contribue à leur mise en œuvre.» Le comité a également pour vocation de préparer les positions du Gouvernement en matière de sécurité nucléaire dans les négociations internationales et de fixer les orientations concernant l'information du public. Le secrétaire général du comité interministériel est nommé par décret, il est chargé de préparer les délibérations du comité, de proposer les mesures nécessaires à l'accomplissement de sa mission et de suivre l'application des décisions prises.

La création du Comité interministériel fait d'une pierre deux coups, car si le CISN répond aux préoccupations du public quant aux dangers de l'énergie nucléaire, le but clairement assigné au Comité est de faciliter la réalisation du programme nucléaire, en permettant une meilleure collaboration entre les services administratifs dont les différentes demandes dispersées auraient pu freiner l'avancement. Ainsi, le comité interministériel regroupe-t-il autour du Premier ministre, les ministres et secrétaires d'Etat suivants : Intérieur, Economie et Finances, Défense, Equipement, Agriculture, Qualité de la Vie, Travail, Santé, Industrie et Recherche, Transports.

Le souci de ne pas entraver le développement du programme nucléaire était déjà présent dans l'instruction du 27 mars, qui après avoir défini le rôle du SCSIN dans le processus d'autorisation pour ce qui concerne la sûreté, précisait sans fard - mais l'instruction n'était pas publique : «Il est clair cependant que les problèmes de sûreté nucléaire aussi importants soient-ils, ne sont pas les seuls qui entrent en jeu dans la décision de réaliser une installation et dans le choix de son implantation et de ses caractéristiques. Il convient donc de coordonner les procédures découlant du décret du 11 décembre 1963 modifié avec les autres procédures administratives sans entraîner de délais inutiles.» 528

C'est Jean Servant, chef du SCSIN, qui est désigné comme premier Secrétaire général du Comité Interministériel de la sécurité nucléaire, après des débats avec le ministère de la Santé revendiquant un médecin à ce poste, étant donné ses attributions qui ne relèvent pas que de la sphère technicienne mais également médicale. La création de ce nouveau comité ne désarme pas la critique des opposants à l'énergie nucléaire : ceux-ci font remarquer qu'il n'est pas normal que la même personne soit à la fois chargée d'un service du ministère de l'industrie et chargée de coordonner l'ensemble des actions dans le domaine de la sécurité nucléaire. 529

Notes
526.

Nous reviendrons plus en détail sur le lancement de ce programme et sur la naissance de l'opposition à l'énergie nucléaire dans un autre chapitre. Ce qui nous intéresse ici est la réaction du pouvoir gouvernemental, qui se traduit par la création d'un nouvel organisme.

527.

Décret n° 75-713 du 4 août 1975 instituant un comité interministériel de la sécurité nucléaire (J.O. du 9-8-75, p. 8116).

528.

Instruction du 27 mars 1973 relative à l'application du décret n° 73-278 du 13 mars 1973 portant création d'un conseil supérieur de la sûreté nucléaire et d'un service central de sûreté des installations nucléaires (non publié au J.O.)

529.

Jean Servant quittera à sa demande sa fonction de chef du SCSIN en 1977. Il sera remplacé par son adjoint Christian de Torquat. A partir de cette date, il occupera donc la seule fonction de Secrétaire général du CISN.