8.5.3. Obtenir l'adhésion du personnel du CEA, et de l'opinion

Mais avant d'annoncer officiellement la création de cet institut, Servant propose au ministre d'attendre les résultats de la consultation en cours des syndicats du commissariat. En effet, de nombreuses inquiétudes existent à l'intérieur du CEA et des voix s'élèvent en faveur de la sauvegarde de l'unité du CEA, les organisations syndicales étant très réticentes à toute modification qui pourrait aller dans le sens du démantèlement à plus ou moins long terme du Commissariat.

Les représentants du personnel du Département de Sûreté Nucléaire (DSN) s'affirment en accord 535 avec l'idée du regroupement des activités de sûreté et de protection dans le cadre du CEA, car cela permettrait de renforcer la crédibilité de la sûreté et affirmer son indépendance vis-à-vis des constructeurs, tout en assurant une meilleure adaptation aux structures mises en place au niveau national par le décret du 4 août instituant le CISN. Ils tiennent par contre à réaffirmer la nécessité de conserver au sein d'une même unité les activités d'études et d'essais qui font selon eux la force et l'originalité du DSN.

La hiérarchie du DSN, en la personne de son directeur Pierre Tanguy, est également d'accord avec les objectifs présentés par l'Administrateur Général, dans la mesure où la création de l'institut ne tend pas à rompre les relations avec le reste du CEA. Pour Tanguy en effet, «toute solution qui se traduirait à court ou moyen terme par une séparation des activités de recherche et de développement, y compris dans une certaine mesure celles liées à promotion de nouveaux projets, des actions de support de l'Administration, [serait] mauvaise [car] préjudiciable à l'obtention d'une bonne sécurité». 536

Tanguy, après Giraud et Bourgeois, développe bien là ce qui restera la doctrine officielle du CEA, et qui constitue l'originalité de l'expertise française en matière de sûreté nucléaire, à savoir l'existence d'une expertise technique qui base sa compétence sur le contact avec les développeurs, et qui joue le rôle de soutien de l'administration qui détient, elle, le pouvoir. Cette doctrine de la compétence est résumée par André Gauvenet, Délégué Central à la Sécurité au CEA : «A partir de 1972, les réflexions sur la sécurité ont conduit à donner sur un plan national beaucoup de poids à l'indépendance des services officiels, qui autorisent les installations dites «nucléaires de base», et à la compétence des personnels. Vouloir associer rigoureusement ces deux notions est une originalité en soi, car souvent à l'étranger on parle d'indépendance sans attacher une importance suffisante à la notion de compétence. En effet, un spécialiste, en devenant un homme de bureau, risque de perdre très vite le contact avec la réalité technique : c'est ce qu'il faut éviter.» Et il ajoute : «Dans les pays industriels, on a fait très attention aux problèmes de procédure et, à mon avis, pas toujours suffisamment à la compétence des analystes de sûreté.» 537

Mais fin 1975, si Servant, Giraud et la hiérarchie des départements du CEA procèdent avec prudence face aux personnels, c'est qu'il est important d'obtenir un consensus sur cette question, puisque l'opération se veut un moyen de communication vers l'extérieur. Il s'agit d'affirmer en direction du public la très nette séparation des activités de protection et de sécurité d'avec les activités de promotion de l'énergie nucléaire. On compte ainsi renforcer la crédibilité de l'indépendance de jugement de ces experts qui restent malgré tout au sein du CEA. C'est pourquoi du côté des autorités du CEA, on souhaiterait faire entériner la nouvelle structure sous forme d'un arrêté ministériel et non pas seulement d'une décision d'ordre interne au CEA. Mieux même, on souhaiterait obtenir si possible le qualificatif de «national» ou de «central» pour le nouvel institut, ce qui serait un moyen d'écarter les tentatives de création d'un organisme de sécurité extérieur au CEA, du type NRC américaine, créée par prélèvement de moyens de l'USAEC.

Notes
535.

Note du chef du DSN, P. Tanguy, à M. l'Administrateur Général, DSN/CONF-CEA N°75-65, en date du 24/11/75. Tanguy transmet les réflexions des membres élus du Conseil d'Unité du Département sur la restructuration de la sûreté nucléaire au CEA. Archives CEA, Fonds du Haut-Commissaire, F5.05.34.

536.

P. Tanguy, DSN/CONF-CEA/75-60, fiche du 27/10/75. Archives CEA, Fonds du Haut-Commissaire, F5.05.34.

537.

A. Gauvenet, «La sécurité dans le groupe CEA», Echos du CEA, N°4, 1979, p. 2.