9.1.2. Les compétences françaises en matière de réacteurs à eau

Jusque-là, l'essentiel de l'effort français en matière de réacteur à eau légère a été mené par le CEA à Cadarache pour la réalisation du prototype à terre (PAT), prototype de chaudière pour la propulsion nucléaire de sous-marin. Le projet achevé, nombre de techniciens vont diffuser dans les différents secteurs du nucléaire français, et en particulier pour renforcer les équipes de Framatome. Pour dialoguer avec Westinghouse, EDF bénéficie de l’expérience des équipes de la centrale de Chooz et des compétences de la Direction des Etudes et Recherches pour ce qui concerne les codes de calcul, compétence développée au temps du graphite-gaz avec le CEA. Pour la plupart des ingénieurs EDF, formés dans la filière graphite-gaz sur les centrales de Chinon, l’eau légère est une nouveauté.

C'est la Direction de l'Equipement d'EDF qui prend en charge ce transfert de technologie. Cet apprentissage intervient dans un contexte passablement modifié pour les hommes de l'Equipement. Accompagnant le «tournant commercial» impulsé par le Directeur général Marcel Boiteux en 1967, l'organisation d'EDF va subir quelques modifications au cours des années 1968-1972. C'est le cas en particulier pour sa Direction de l'Equipement, chargée de la conception et de la construction des grands ouvrages. Créée en 1946 par Pierre Massé sous une forme décentralisée, la Direction de l'Equipement présentait 17 Régions d'Equipement en 1967 547 . Un Service Etudes et Projets Hydrauliques établissait la doctrine de la Direction pour l'hydraulique, un Service Etudes et Projets Thermiques (SEPT) pour le thermique. Pour le nucléaire l'établissement de la doctrine était confié à un Service d'Etudes Générales Nucléaires (SEGN) 548 , mais les Régions participaient activement aux études des projets. Cette décentralisation fut critiquée au ministère de tutelle, et après l'échec d'une première réforme, on aboutit en octobre 1968 au regroupement du SEPT et du SEGN en un Service des Etudes et Projets Thermiques et Nucléaire (SEPTEN), confié à Claude Bienvenu 549 , un des pionniers du nucléaire à EDF. Ce service sera qualifié plus tard de «théoricien du nucléaire». Le but de la création du SEPTEN était d'asseoir une doctrine technique commune et de limiter la responsabilité des régions d'Equipement à partir des directives techniques et des avant-projets élaborés par le SEPTEN. Dans le but de renforcer la centralisation et d'homogénéiser les méthodes de travail, le Directeur de l'Equipement entre 1969 et 1972, Jean Guilhamon, transforme les Régions d'Equipement jusque-là spécialisées dans le thermique, l'hydraulique ou le nucléaire, en cinq Régions d'Equipement mixtes qui ne sont plus indépendantes mais orchestrées par la Direction de l'Equipement. C'est une direction de l'Equipement rénovée dont Michel Hug prendra le commandement en juillet 1972 pour mettre en œuvre une politique de standardisation et de séries industrielles.

Mais pour les premières réalisations nucléaires, ce sont les Régions d'Equipement Clamart et Lyon qui s'occupent respectivement de Fessenheim et Bugey. Elles jouissent encore d'une certaine autonomie, mais l'essentiel de la tâche de l'heure consiste à savoir bien copier ce que font les Américains. Pour cela, elles bénéficient du soutien des équipes qui ont été impliquées dans les projets franco-belges de Chooz et de Tihange. Cependant c'est véritablement avec Fessenheim que commence l'apprentissage du nucléaire pour les ingénieurs de l'Equipement d'EDF.

Notes
547.

La Direction de l'Equipement est alors composée de six services fonctionnels (service Projets, Service Etudes énergétiques, Service Marchés, Service Travaux, Service Géologie, Service Central de l'Equipement Thermique) et 11 Régions d'Equipement : trois Régions d'Equipement Hydrauliques (REH Nord, REH Alpes Sud, REH Alpes Nord, REH Massif Central Pyrénées), quatre Régions d'Equipement Thermique (RET 1 et RET 2 à Paris, RET 3 à Marseille, et RET 4 à Valenciennes) et trois Régions d'Equipement Nucléaire (REN 1 à Clamart, REN 2 à Tours et REN 3 à Lyon).

548.

Le SEGN est confié en 1962 à Boris Saitcevski, chercheur issu des Etudes et Recherches Hydrauliques d'EDF et ancien stagiaire des Cours de Génie Atomique de Saclay.

549.

Né à Alger en 1927. Sorti de l'X et de l'Ecole Nationale Supérieure d'Aéronautique (SupAéro) en 1949, Claude Bienvenu entre à EDF en 1951 à la Direction des Etudes et Recherches. Passé en 1955 à la Direction de l'Equipement, il y joue, de 1955 à 1968, un grand rôle dans le développement de la filière UNGG, aux côtés d'autres pionniers comme Y. Teste, Jean-Pierre Roux, Boris Saitcevski. En 1968, lui est confié la tête du «Service Etudes et Projets Thermiques et Nucléaires», le SEPTEN. Après avoir réalisé cette réforme centralisatrice, Claude Bienvenu quitte la Direction de l'Equipement et est nommé en 1972 Directeur Adjoint de la Direction des Etudes et Recherches.