9.3.3. Le renforcement de la législation américaine : critères et guides

Dans un contexte marqué par ces controverses, on note un renforcement de la législation américaine à partir de 1965. A l’origine, la demande d’un renforcement réglementaire émane des milieux industriels et des commissaires de l’AEC 576 eux-mêmes, qui souhaitent réduire les délais d’autorisation des centrales. D'une durée de un an, ils souhaitent ramener ces délais à six mois, par la normalisation des procédures et des critères d’acceptabilité des réacteurs.

C’est ainsi que suite à des discussions initiées avec les industriels en novembre 1965, la Commission, en juillet 1967, publie au Registre Fédéral (32 F.R. 10 213) une série de critères généraux de conception (General Design Criteria) pour les systèmes et composants des réacteurs de puissance, soumise au public pour commentaire 577 . Selon la tradition réglementaire américaine, toutes les personnes intéressées sont invitées à présenter, par écrit, des commentaires et suggestions sur les textes proposés, pendant une période donnée après la publication au registre fédéral. L’AEC examine les commentaires reçus et détermine s’il convient de faire entrer l’amendement en vigueur. C’est alors seulement que l’amendement est publié à nouveau au Registre Fédéral, accompagné d’une date d’entrée en vigueur qui précise le jour où il fait officiellement partie de la réglementation 578 .

Ces critères généraux doivent servir de base ou de cadre à partir desquels des critères ou normes réglementaires plus détaillés seront développés. Pour l’essentiel, ces critères sont dérivés des pratiques qui ont conduit à l’approbation des derniers réacteurs par la Commission. Après révision, c’est finalement en février 1971 que ces critères généraux sont ajoutés sous forme d’une annexe au titre 10 du code de réglementation fédérale, qui stipule les règles d’autorisation pour les centrales nucléaires, devant prendre force de loi 90 jours plus tard 579 .

64 critères sont ainsi spécifiés, auxquels viendront s’ajouter de nouveaux critères au fur et à mesure de l’avancement de la jurisprudence en matière d’autorisation et de l’avancement des connaissances. Ces critères généraux se veulent des exigences minima pour les réacteurs à eau : “Les critères principaux de conception établissent les exigences nécessaires en matière de conception, de fabrication, de construction, de test et de performance pour les structures, systèmes et composants importants pour la sûreté; c’est-à-dire, les structures, systèmes et composants qui fournissent une assurance raisonnable que la centrale peut être exploitée sans risque illégitime (undue risk) pour la santé et la sûreté du public.” 580

Les termes employés dans cette introduction au 10 CFR 50 Appendix A, «assurance raisonnable», «undue risk», montrent toute la difficulté de proposer une philosophie générale en matière de sûreté, qui fixe des critères objectifs. Les Pouvoirs publics en France seront d'ailleurs confrontés à cette même difficulté. La sûreté ne peut se résumer à la stricte application de règles, mais surtout, on évite de fixer dans la loi la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Répartis en six chapitres, les critères traitent d’exigences générales (critères 1 à 5), de la protection contre les produits de fission par interposition de barrières multiples (10 à 19), des systèmes de protection et de contrôle de la réactivité (20 à 29), des systèmes concernant les fluides (30 à 46), du confinement (50 à 57) et du contrôle du combustible et de la radioactivité (60 à 64).

Le début des années soixante-dix marque bien aux Etats-Unis le grand bond en avant de la réglementation puisque parallèlement à ces critères réglementaires, l’AEC s’attache depuis 1970 à la publication de guides de sûreté qui se proposent d’aider les demandeurs d’autorisation et les exploitants à respecter les prescriptions générales et les directives figurant dans le Code de Réglementation Fédérale. Les guides 581 , à la différence des critères précédents n’ont pas force de loi, mais ont pour but de recommander des solutions acceptables à des problèmes de sûreté dans les cas où l’AEC n’a pas encore décidé qu’une solution particulière devait être rendue obligatoire. L’AEC entend transformer un certain nombre de ces guides en règles contraignantes lorsqu’elle aura acquis suffisamment d’expérience à leur sujet. En attendant, le respect des guides n’est pas obligatoire. Ils indiquent simplement des moyens possibles d’appliquer la réglementation. D’autres moyens sont admis s’ils reposent sur une solide justification. Ces guides vont fleurir dans les années suivantes, on en dénombrera plus d’une centaine en 1978.

En ce qui concerne l’élaboration des normes, ce sont près de 400 organismes non gouvernementaux qui se consacrent à cette tâche, même si pour l’essentiel elles émanent de l’American Nuclear Society (ANS), de l’American Society for Testing and Materials (ASTM), de l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE), de l’American Society of Mechanical Engineers (ASME) et de l’American National Standards Institute (ANSI).

Les bases du contexte réglementaire américain sont donc en place au début des années soixante-dix. Regroupée dans l’article 10 du Code de Réglementation Fédérale, la réglementation de l’AEC comprend parmi les plus intéressants sur le plan technique son article 20 (10CFR20) qui fixe les normes de protection contre les rayonnements, l’article 50 (10CFR50) qui présente les impératifs à respecter en ce qui concerne la conception, la construction et l’exploitation des centrales nucléaires et des usines de retraitement du combustible, et l’article 100 (10CFR100) qui fournit les critères destinés à guider la Commission dans sa tâche d’évaluation des sites proposés pour l’installation des réacteurs.

Notes
576.

Le début de l’année 1967 voit la création au sein de l’AEC d’une “Division of Reactor Standards” au sein de la “Direction of Regulation”. Un encadré d’un texte de son nouveau directeur, Edson G. Case, publié dans la revue de la Société Américaine Nucléaire, Nuclear News, résume ainsi les objectifs des Standards et critères réglementaires :

“The development and publication of regulatory criteria and standards have several basic objectives :

- Specification of acceptable safety criteria for design, fabrication, testing, and operation of nuclear facilities, systems, and components.

- Specification of acceptable standard techniques and assumptions for analysis of the performance of nuclear facilities, systems, and componenents.

- Facilitating communication among all responsible parties involved in nuclear safety. A particular design method or procedure for analyzing the performance of a design can be specified by reference to a published set of standards or requirements.

- Improving the safety review process. This can be achieved in two principal ways : (1) Criteria will serve to identify in advance the more important safety issues and the Commission’s requirements concerning them. Information submitted for review can then be concentrated on these issues. (2) If acceptable standards for design and analysis are developped, design aspects conforming with these standards can be identified in a particular application and a detailed review of these aspects dispensed with in that case. Efforts of designers and reviewers can then be concentrated on other significant matters.”

Edson G. Case, “AEC Program in Nuclear Standards : Regulatory Functions - Division of Reactor Standards”, Nuclear News, November 1967, pp. 44-47.

577.

L’article d’un représentant de Niagara Mohawk Power Corp., qui estime que le nouveau guide de l’AEC simplifie les spécifications techniques (Tech Specs), est un exemple de commentaire provenant des milieux industriels. Selon lui, le nouveau système de l’AEC pour la réglementation des centrales nucléaires est complexe et dévoreur en temps, mais il promet des exigences moindres pour l’obtention des licences et une meilleure flexibilité pour l’exploitation. Gerald K. Rhode, “New AEC guides simplifies Tech Specs”, Power, December 1967, pp. 125-127.

578.

Derrière une procédure apparemment très démocratique, D. Ford en particulier montre que dans la réalité, l'AEC se débrouillait pour mettre hors de portée du public les données scientifiques émises par les laboratoires de recherche travaillant en contrat pour elle, ou les avis des experts qui émettaient des doutes sur l'efficacité des systèmes de sûreté adoptés par les industriels.

579.

“General Design Criteria for Nuclear Power Plants”, 10 CFR 50 Appendix A, Federal Register, Vol. 36, N0. 35, Saturday, February 20, 1971, pp. 3255-3260.

580.

Le texte original est le suivant : “The principal design criteria establish the necessary design, fabrication, construction, testing, and performance requirements for structures, systems, and components important to safety; that is, structures, systems, and components taht provide reasonable assurance that the facility can be operated without undue risk to the health and safety of the public.” General Design Criteria, op. cit., p. 3257.

581.

Minogue, R. B., “Normes et critères de sûreté des réacteurs en application ou en préparation aux USA”, Symposium on principles and standards of reactor safety, Jülich, Feb. 5-9, 1973, IAEA, SM-169/46.