11.1.1. Les accidents de perte de refroidissement

11.1.1.1. Déroulement d'un LOCA et problèmes de sûreté

Lors de l'adoption des réacteurs à eau le CEA avait choisi de suivre à la lettre les recommandations de sûreté des organismes américains et de vérifier leur correcte application aux réacteurs développés sous licence pour EDF. Or depuis le début du développement des réacteurs à eau dans les années soixante, une liste d'accidents à prendre en compte pour le dimensionnement de l'installation avait été établie aux Etats-Unis. Parmi ces situations accidentelles, la rupture d'une canalisation principale d'entrée ou de sortie de la cuve conduisant à la perte brutale du réfrigérant primaire était considérée comme un accident de référence (Design Basis Accident), censé être «enveloppe» de toutes les autres situations accidentelles. Cette rupture dite «guillotine» d'une grosse tuyauterie primaire était considéré comme l'accident le plus grave parmi tous les accidents de perte de refroidissement. Pour pallier cet accident, des systèmes d'injection de secours (ECCS) étaient certes prévus, mais leur efficacité restait à démontrer. C'est pourquoi dans l'ensemble de la communauté nucléaire des programmes étaient lancés pour étudier le déroulement de cet accident.

Les différentes étapes du déroulement d'un LOCA posent de nombreuses questions qui sont à l'origine des recherches de sûreté. La rupture664 d'une canalisation entraîne la dépressurisation du circuit primaire qui assure l'évacuation de la puissance thermique. La perte du refroidissement par l'eau sous pression provoque une augmentation de la température des gaines et du combustible du fait de l'énergie résiduelle dégagée par la radioactivité, même si le réacteur a été mis à l'arrêt. L'arrêt du réacteur en cas de perte du refroidissement est fort probable puisque privé de l'eau modératrice des neutrons, la réaction en chaîne ne peut se développer. Mais les gaines et le combustible peuvent fondre et les produits de fission volatils être libérés dans le circuit primaire puis dans l'enceinte de confinement. Dans certains cas, on peut même envisager que la vaporisation de toute l'eau du circuit primaire ou encore des réactions chimiques secondaires (métal-eau, combustible-eau) engendrent des pressions qui entraînent des fissurations de l'enceinte de confinement et donc une fuite des produits de fission volatils vers l'extérieur. Dans l'hypothèse où l'enceinte de confinement résiste comme elle est censée le faire, on peut imaginer que le combustible en fusion perce la cuve, puis le radier du bâtiment avant de s'enfoncer plusieurs dizaines de mètres dans le sol, selon l'accident dit du «syndrome chinois».

Ce scénario catastrophe illustre en quoi le maintien de la fonction de refroidissement est d'une importance capitale. Différents systèmes de refroidissement de secours ont donc été prévus par les concepteurs américains. Une injection par des pompes à haute pression, une injection d'eau par décharge de réservoirs (accumulateurs) sous pression intermédiaire et une injection d'eau par pompage à basse pression sont raccordés sur les tuyauteries d'entrée dans la cuve pour les accumulateurs, sur les tuyauteries d'entrée et de sortie pour l'injection par pompage. Ces systèmes doivent intervenir aux différentes étapes du déroulement de l'accident. La «dépressurisation» du circuit primaire entraîne une chute brutale de la pression, de 155 à 4 bars environ, ce qui conduit à l'ébullition de l'eau, à une augmentation rapide de la température des gaines, qui atteint 800° en quelques secondes et provoque leur rupture. En principe, dès que la pression devient inférieure à celle des accumulateurs (45 bars), ceux-ci injectent immédiatement l'eau qu'ils contiennent, tandis que la température du combustible et de la gaine continue à monter. Suit alors une phase dite de «remplissage» où l'eau des accumulateurs et des pompes remplit le fond de la cuve, puis une phase de «renoyage» où l'eau remonte progressivement dans le cœur et la température du combustible se stabilise puis commence à décroître. Ce sont alors les pompes à basse pression qui interviennent pour évacuer la puissance résiduelle.

Comme le montre la description précédente, très sommaire, le déroulement de l'accident met en jeu de nombreux phénomènes très complexes au cours de chacune des phases, dont nombre restent mal connus, et particulièrement du fait de l'écoulement de l'eau que l'on retrouve en double phase liquide et vapeur. Ces problèmes de la thermohydraulique double-phase sont particulièrement épineux, que ce soit le déséquilibre thermique entre les deux phases, la différence de vitesse du liquide et de la vapeur, les coefficients d'échange au moment de l'injection de secours, les débits au niveau de la brèche, le comportement des pompes en double phase, le comportement des gaines… Pour faire face à ces inconnues, les concepteurs ont certes pris des marges (d'autant plus grandes qu'est grande l'incertitude), des hypothèses de calcul pessimistes afin de minimiser le risque, mais la taille des marges réelles reste à vérifier et cela passe par une connaissance plus approfondie des phénomènes en jeu.

Notes
664.

La description du LOCA s'inspire de : Syndicat CFDT de l'Energie atomique, Le dossier électronucléaire, Editions du Seuil, Paris, 1980, pp. 255-256.