11.1.1.2. L'approche analytique

Dans la tradition des premières études menées dans les années soixante, les recherches du CEA adoptent une méthodologie un peu différente de celle développée dans les autres pays. La particularité de l'approche du CEA consiste à s'attacher plus précisément à la compréhension des phénomènes de base - phénomènes physiques, thermiques, hydrauliques, thermodynamiques - démarche qualifiée par les gens du CEA de «plus analytique». L'accent est mis d'abord sur la recherche de modèles aussi physiques que possible permettant de décrire la dépressurisation, le renoyage, l'efficacité de l'injection de secours. Ces modèles sont ensuite qualifiés sur des expériences analytiques de base. Les codes de calcul élaborés à partir de ces modèles sont alors validés à l'aide d'expériences à caractère plus global, pour passer enfin au stade de la vérification sur les expériences intégrales, faites à l'étranger.

Pour ces différents types d'études (expériences analytiques de base, expériences analytiques plus complexes et expériences globales), le CEA a développé des dispositifs expérimentaux, dont nous donnons les principales caractéristiques.

Les résultats expérimentaux tirés de ces études doivent permettre d'ajuster plusieurs codes de calculs afin d'élaborer un code unique décrivant tout l'accident, et permettant d'extrapoler au comportement d'un réacteur réel. Les codes de cette prempière génération sont dits «d'évaluation» : dotés de modèles physiques simplifiés, ils sont complétés par des hypothèses très conservatrices. Avec les progrès de la physique d'une part et de l'informatique de l'autre, cette génération de codes sera suivie à partir de 1979 de codes «réalistes» (Cathare) décrivant les phénomènes physiques rencontrés.

En parallèle, le CEA poursuit l'étude des versions successives des codes américains SATAN de Westinghouse et RELAP. Le développement des codes de calcul permis par l'accroissement des moyens informatiques rend en effet plus nécessaire que par le passé la vérification des données et la validation des résultats fournis par ces codes. Et ce d'autant qu'ils ont été élaborés à l'étranger.

Une anecdote célèbre parmi les techniciens du nucléaire permet d'illustrer l'importance de la validation de ces codes sur lesquels reposent la conception des réacteurs et donc de nombreuses démonstrations de sûreté. Le code Satan de Westinghouse, qui connaîtra de nombreuses versions, avait été élaboré au départ par des techniciens américains. Puis deux ingénieurs Indiens avaient été embauchés. Ceux-ci avaient travaillé sur le code, qu'ils avaient modifié, puis comme une autre société offrait un meilleur salaire, ils avaient quitté Westinghouse. Les successeurs disposaient donc du code, mais plus personne ne savait réellement le détail de sa rédaction, les concepteurs étaient partis et n'avaient pas laissé suffisamment d'indications. L'anecdote est sans doute excessive, car Westinghouse a sans aucun doute consacré les moyens nécessaires pour remédier au problème. Mais du point de vue des experts de sûreté français, il était d'une importance capitale de disposer de moyens autonomes de calcul et de vérification des hypothèses, des modèles et des calculs.