11.1.2. Le circuit primaire et les aciers pour cuve

11.1.2.1. Vraisemblance de la rupture de la cuve

Après le déroulement du LOCA et l'efficacité des systèmes de refroidissement de secours, le second sujet de préoccupation des spécialistes de la sûreté est celui de la rupture de la cuve. En 1974, ce problème reste aux yeux de Jean Bourgeois665 l'un de ceux pour lequel subsistent les incertitudes les plus préoccupantes.

On se souvient qu'un des axiomes de la sûreté de ce type de réacteurs est la non-rupture de la cuve, pour laquelle l'installation n'est pas dimensionnée, une telle rupture entraînant probablement la perte simultanée des trois barrières. Selon la conception américaine, si les cuves ne sont pas soumises à des températures supérieures de 60°F à la température de transition fragile (NDT, Nil Ductility Transition temperature), alors elles ne peuvent pas rompre. Des calculs effectués par le comité d'experts de sûreté américains estiment cette probabilité de rupture inférieure à 10-5 par an à partir de statistiques sur des cuves utilisées dans d'autres domaines que le nucléaire. Les probabilités de rupture laissent donc penser que l'hypothèse de non-rupture est justifiée, mais elle n'est pas théoriquement exclue. Toute la stratégie de défense contre cette éventualité réside dans les mesures prises pour la qualité de la conception et surtout de la construction, leur vérification par l'exploitant et les autorités administratives. Mais ces chiffres de probabilité de rupture de cuve sont contestés par les spécialistes de sûreté britanniques derrière Farmer qui estiment cette probabilité supérieure. Farmer voit dans cette démarche d'exclusion à l'américaine la vieille conception erronée mais courante chez de nombreux ingénieurs, la recherche d'une «sûreté absolue».

Pour certains spécialistes en effet, l'hypothèse de la non rupture de la cuve est complètement arbitraire, car pourquoi considérer la rupture nette et brutale d'une tuyauterie primaire principale et pas la rupture de la cuve, tout aussi improbable, si ce n'est parce que dans le premier cas on sait construire des enceintes qui résistent, et pas dans le second. Ceci revient à dire que dans ces études d'accident, on ne prend en compte que ce que l'on est capable de prendre en compte. Le concept de l'accident maximum plausible resurgit et le problème est posé d'un consensus autour de ce qui est jugé «vraisemblable». Les deux hypothèses se défendent : les tuyauteries sont des zones de concentration de contraintes au niveau des raccordements et elles sont nombreuses donc il y a plus de raisons qu’un problème survienne au niveau des tuyauteries que sur la cuve. A l'inverse, on peut penser que la cuve est plus soumise à l'irradiation par les neutrons et que par conséquent la fragilisation est nettement plus grande, la probabilité de se trouver dans la zone de rupture fragile est plus grande pour la cuve que pour les tuyauteries qui sont situées plus loin.

Notes
665.

Archives CEA, Fonds du Haut-Commissaire, F3 23 49, «Réunions programmes 1972-1980», relevé de décisions prise par l'Administrateur Général à la suite de la réunion du programme «sûreté des réacteurs à eau bouillante» tenue au Siège le 21 mai 1974, intervention de Bourgeois sur la sûreté des réacteurs à eau ordinaire.