11.2.2. La spécificité technique et les incertitudes des RNR

Les réacteurs à neutrons rapides surgénérateurs présentent un certain nombre de particularités techniques. La description qui suit insiste sur leurs aspects défavorables, car ils suscitent des recherches et études, sans évoquer les facteurs plus avantageux pour la sûreté.

Dans les réacteurs à neutrons rapides, il n'est pas nécessaire de ralentir les neutrons pour obtenir la réaction en chaîne et le combustible peut être constitué d'uranium naturel et de plutonium. Le nom de surgénérateur (après abandon du terme surrégénérateur) vient du fait que ces réacteurs produisent plus de combustible qu'ils n'en consomment par transformation de l'uranium 238 (fertile) en plutonium 239 (fissile). Si le coefficient de température du combustible est négatif comme pour les réacteurs à eau, ce qui confère une stabilité intrinsèque en cas d'augmentation de température, le coefficient de vide du sodium réfrigérant est lui positif dans certaines régions du cœur. Cela signifie que tout accident conduisant à une vaporisation du sodium entraîne une augmentation de réactivité et donc de la puissance, pouvant conduire à l'emballement du réacteur. Etant données les grandes densités de puissance de ce type de réacteur, on peut craindre qu'un sous-refroidissement important d'un assemblage combustible ne conduise à sa fusion, et que de proche en proche le phénomène se propage à des assemblages voisins.

Autre aspect défavorable pour la sûreté, le cœur n'est pas dans sa configuration la plus réactive. Cela signifie que si, pour une raison accidentelle quelconque, le combustible se rassemblait en une certaine région du cœur, il pourrait former une masse critique conduisant à une excursion nucléaire libérant une grande quantité d'énergie sous forme explosive. En 1956, les physiciens anglais Bethe et Tait avaient publié un calcul du saut de puissance pour un réacteur à neutrons rapides dont le cœur serait totalement fondu en son centre : ils avaient alors supposé que la moitié supérieure tombe par gravité sur la partie inférieure provoquant la compaction du cœur et une nouvelle montée en puissance très rapide. Dans cette hypothèse, Bethe et Tait mettaient l'accent sur la nature explosive des événements due à l'énergie émise. Des essais en simulation à l'aide de TNT avaient été menés depuis 1960. Les premières études faites sur la base de ces hypothèses très pessimistes furent modifiées pour se rapprocher de conditions plus réalistes par l'introduction de l'effet Doppler681 qui réduit considérablement le taux d'accroissement de puissance. Mais les études se poursuivent au début des années soixante-dix pour améliorer le modèle de l'accident.

L'évacuation de la chaleur produite dans le cœur est effectuée par du sodium liquide, choisi pour ses qualités thermiques particulièrement favorables : sa grande capacité calorifique lui confère une grande inertie thermique, sa température d'ébullition est élevée, qui plus est très supérieure à sa température d'utilisation, ce qui permet entre autres de se passer de pressurisation. Mais le sodium présente deux caractéristiques chimiques défavorables à la sûreté : le sodium réagit violemment avec l'eau (réaction possible en cas de fuite au niveau des générateurs de vapeur) et il brûle spontanément au contact de l'oxygène de l'air. Propriété non spécifique au sodium, un métal fondu à très haute température peut toujours réagir violemment au contact d'un liquide beaucoup plus froid, pouvant provoquer la vaporisation du liquide et un dégagement important d'énergie.

Face à ces particularités défavorables, un certain nombre de mesures ont été prises à la conception des surgénérateurs : le circuit primaire a été intégré à la cuve et maintenu dans une atmosphère inerte d'argon; un circuit de sodium secondaire a été rajouté pour éviter un éventuel contact entre le sodium primaire radioactif et l'eau des générateurs de vapeur; des systèmes de détection de fuite ont été prévus. Mais des incertitudes demeurent sur ces différents points.

Des études sont donc nécessaires, d'autant plus que le programme là aussi se développe, avec le démarrage de Rapsodie (1967), la construction de Phénix (1968) puis son démarrage (1973) et les premières études du premier Superphénix dès 1971. Le besoin de résultats expérimentaux indépendants se fait sentir pour procéder à l'analyse de sûreté de Phénix, puis pour la définition des critères de sûreté pour le dimensionnement de Superphénix.

Notes
681.

En neutronique, l'effet Doppler est l'élargissement des sections efficaces résonantes de capture des neutrons par certains noyaux lorsque la température augmente, qui a pour effet de faire chuter la puissance neutronique. Davantage de neutrons sont capturés et moins nombreux sont ceux qui sont disponibles pour de nouvelles fissions. L'effet Doppler est le plus rapide et le plus sensible des effets de variation de la réactivité d'un réacteur. C'est un facteur auto-stabilisateur de la réaction en chaîne, d'autant plus puissant que la variation de température est importante.