12.2.1. La recherche des sites et les procédures administratives

Si le programme d'équipement nucléaire a été décidé au plus haut niveau de l'Etat, c'est EDF qui est chargé de trouver les sites d'accueil des installations. Dans cette opération de sélection EDF est confronté à de nombreuses contraintes technico-économiques. 714

En effet, il est plus intéressant d'implanter des centrales dans des régions souffrant d'un déficit de production électrique. Les sites doivent être assez spacieux (entre 100 et 200 hectares), accessibles par la route, voire par voie ferrée… Il faut être au bord d'une source froide suffisante (mer ou cours d'eau important) pour l'alimentation du circuit de refroidissement. Le sous-sol des sites doit être suffisamment solide et en dehors de zone trop sismiques. L'environnement industriel pouvant générer des risques sur les installations, on doit se trouver à distance respectable des aéroports, raffineries de pétrole et autres industries à risques. Mais il faut ajouter quelques critères plus inhabituels : les critères biologiques (la vie fluviale et marine), esthétiques (éviter la proximité de sites ou de monuments classés), et l'impact social (création d'emplois dans les régions défavorisées). Dernier critère à entrer en ligne de compte pour l'implantation, la distance par rapport aux grandes agglomérations 715 . Toute la difficulté de la tâche de l'Equipement d'EDF consiste à arbitrer entre ces divers paramètres.

Traditionnellement 716 , depuis la loi de nationalisation du 8 avril 1946, EDF, en plus de la construction des ouvrages, se charge de l'acquisition des terrains pour leur implantation et de l'enclenchement des diverses procédures. Les rapports entre EDF et les Pouvoirs Publics sont centralisés par la Direction de l'Electricité, directement pour les rapports avec les ministères, par l'intermédiaire des Circonscriptions électriques pour les rapports avec les autorités départementales. Pour les premières centrales nucléaires comme pour les centrales thermiques, EDF délimite géographiquement la zone d'implantation de la centrale projetée. Le chef de la Circonscription électrique accompagné d'un Contrôleur de l'Equipement d'EDF va trouver le préfet du département pour présenter le projet et lui demander de prendre un arrêté permettant l'exécution de sondages et la reconnaissance du sous-sol. Les travaux effectués, une réunion d'information est organisée sous la présidence du préfet avec des personnalités du département, des Conseillers généraux, des Maires des communes concernées. EDF transmet ensuite une demande de déclaration d'utilité publique, qui n'était pas obligatoire au départ en cas d'acquisition à l'amiable des terrains.

EDF doit ensuite engager les différentes procédures réglementaires visant à obtenir l'autorisation de construction. Différents niveaux de l'administration interviennent alors. 717 A un niveau central, le Service central de protection contre les radiations ionisantes (SCPRI) du ministère de la Santé est chargé depuis 1956 de surveiller les rejets d'effluents radioactifs et leur impact sur la santé et l'environnement. A partir de 1973, le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN) du ministère de l'industrie étudie plus spécifiquement les rapports de sûreté des installations. Les avis de ces deux services préparent les délibérations de la Commission Interministérielle des Installations Nucléaires de Base (CIINB) instaurée en 1963. La CIINB étudie la «demande d'autorisation de création» présentée par EDF, qu'elle sanctionne par la promulgation d'un «décret d'autorisation de création» (DAC).

Outre ces procédures propres au caractère nucléaire des centrales qui sont gérées par les services centraux des ministères précédents, l'ouverture des sites nécessite également le respect par EDF d'autres procédures instruites par différentes administrations : c'est en particulier le cas de la Déclaration d'Utilité Publique (DUP). Mais on recense également une procédure Euratom, des procédures concernant le Permis de construire, les Servitudes aéronautiques, l'Instruction mixte, l'autorisation de prise d'eau, les rejets liquides non radioactifs, toutes procédures du ressort des services préfectoraux ou d'autres administrations locales. Ce sont au total neuf procédures auxquelles sont soumises les centrales nucléaires. Dans sa Chronique de trente années d'équipement nucléaire à Electricité de France, Lamiral constate entre 1960 et 1970 une croissance continue du nombre de textes intéressant chaque procédure. Du côté de la Direction de l'Equipement d'EDF, on mentionne en particulier le rôle du ministère de l'environnement (avec ses différentes appellations successives) à partir de janvier 1971 qui se traduit pour EDF par un accroissement continu de la complexité des procédures à engager, pas seulement pour les centrales nucléaires d'ailleurs. C'est le cas particulièrement après 1974 où on note côté EDF l'accroissement du nombre de textes intéressant plus particulièrement les effets des installations sur l'environnement. Au total, entre 1958 et 1980, le nombre de textes intéressant les procédures prises en compte aurait été multiplié par presque huit. 718

A partir d'avril 1975, il est prévu qu'EDF présente à l'administration pour les sites envisagés pour ses centrales les résultats d'études d'impacts sous la forme de «dossiers d'impact sur l'environnement». Ces études, qui doivent être conduites très en avance sur les décisions d'implantation des centrales pour qu'à tous les stades des décisions les éléments intéressant l'environnement soient clairement précisés, doivent traiter des impacts de la centrale sur l'atmosphère. Il s'agit des impacts provoqués par les effluents gazeux, les émissions de vapeur ou l'émission d'énergie, les impacts sur le milieu marin ou sur les eaux douces provoqués par les rejets de chaleur qui échauffent ces milieux, et l'impact sur les sites et paysages. 719

En définitive, la procédure d'implantation d'une centrale fait intervenir les services d'une dizaine de ministères, prévoit une dizaine d'organes de contrôle et repose sur plusieurs centaines de textes.

Au-delà de la multiplication des textes, ce sont les procédures liées à l'obtention des sites qui présentent les plus gros obstacles pour EDF, car ce ne sont plus les services centraux techniques des ministères qui interviennent dans ces procédures mais des administrations proches du terrain et plus sensibles aux pressions socio-politiques. Dans son histoire de la Direction de l'Equipement, Michel Herblay parle même à propos des sites de «cauchemar des gestionnaires». Il illustre le sentiment d'impuissance des hommes d'EDF devant l'enlisement de leurs dossiers dans les dédales administratifs, en prenant l'exemple du permis de construire : «La délivrance d'un permis de construire un bâtiment sortant quelque peu de l'ordinaire des maisonnettes n'intervient déjà qu'à l'issue de longues péripéties administratives : on imagine à quelle puissance elles sont portées lorsque les bureaux locaux sont saisis d'un projet de construction nucléaire et que leurs occupants deviennent le point de mire des populations environnantes.» 720

Il est un fait que les difficultés que rencontre EDF avec les différents échelons de l'administration pour l'obtention des sites reflète la montée des préoccupations de l'opinion.

Notes
714.

Cf. Aussourd, Ph., Candes, P., «Le choix des sites des centrales nucléaires», Annales des Mines, Janvier 1974, pp. 71-76.

Philippe Aussourd est ingénieur des Ponts et Chaussées au SCSIN, Pierre Candes est Chef du Service d'Etudes de Sûreté radiologique au CEA. Ils distinguent les critères propres au producteur d'électricité et les critères d'environnement et de sûreté. Pour ces derniers, ils séparent l'impact de la centrale sur l'environnement de l'impact du site sur la centrale.

715.

Il est difficile de savoir quel poids EDF attribuait à ce dernier critère. Comme le note Louis Puiseux, dans son Crépuscule des atomes, Hachette, Paris, 1986, pp. 173-178, ce critère «n'est évoqué que fugitivement [par EDF] et sans commentaire dans les articles de l'époque.» N'oublions pas que dans ces années, la fusion du cœur est considérée comme un événement hypothétique, le dégagement de produits radioactifs en-dehors de l'enceinte encore plus.

716.

Le paragraphe qui suit s'inspire en particulier de l'ouvrage de Georges Lamiral, Chronique..., pp. 213 et 231.

717.

A partir de 1970, la localisation des centrales commence à poser des problèmes à l'intérieur de la sphère administrative, notamment celles chargées de l'Environnement, des Affaires culturelles et celle de l'Equipement : chaque administration met en avant certains critères qu'il faut concilier, liés à l'équilibre de la production et de la consommation électrique régionale, à la configuration des lignes à haute tension, aux orientations concernant l'aménagement du territoire… Au printemps 1973, deux types de réunions, certaines au niveau national regroupant des hauts fonctionnaires des différentes administrations et d'EDF, d'autres au niveau régional ou départemental, permettent aux responsables d'EDF d'être guidés dans leurs sélection des sites et de dresser en juin 1974 une liste de 51 sites susceptibles d'être équipés jusqu'à la fin du siècle. Pour une description plus précise des enjeux propres à chaque administration, on consultera Oudiz, A., «Le choix des sites nucléaires», in : Fagnani, F., Nicolon, A., (dir.), Nucléopolis. Matériaux pour l'analyse d'une société nucléaire, Presses Universitaires de Grenoble, 1979, pp. 161-222.

718.

Cf. Lamiral, op. cit., p. 228.

719.

Saglio, J.-F., «Implantation des centrales nucléaires et environnement», Annales des Mines, mars-avril 1976, pp. 139-144. Saglio est ingénieur en chef des Mines, Directeur de la Prévention des Pollutions et des Nuisances au Ministère de la Qualité de la Vie.

Une loi sur la protection de la nature et l'environnement est promulguée le 10 juillet 1976, mais EDF ne se soumettra à ces nouvelles contraintes qu'à partir de 1978, après publication des décrets d'application.

720.

Herblay, Michel, Les hommes du fleuve et de l'atome, La Pensée Universelle, Paris, 1977, p. 247.