12.3.2. Un problème interdisciplinaire

Si la question de la sûreté d'une installation met en jeu de nombreuses disciplines scientifiques et techniques, l'analyse d'un site élargit encore le champ : outre les propriétés intrinsèques du site, il faut coupler les données fournies par les physiciens sur les possibilités d'accident et sur les émissions possibles et leurs propriétés, aux modèles de transferts de ces poisons vers l'homme…

L'étude de sites fait intervenir des disciplines diverses : le débat rebondit à cette occasion sur la collaboration entre les uns, spécialisés dans les domaines de la physique, et ceux plus proches de la biologie et de la médecine. On note à ce sujet la distinction entre la notion de site et celle d'environnement, qui correspond à la différence d'approche entre physiciens et biologistes. «Il y aura fondamentalement, pour les spécialistes des sites, des problèmes de transferts de nuisances (mouvements, chaleur, matière), entre des «sources» et des «objectifs» exposés, à travers différents «milieux naturels» de nature d'abord essentiellement physique (air, sol, eaux), pour impliquer de plus en plus d'aspects biologiques, au fur et à mesure de l'éloignement des sources et de l'approche des objectifs, où la préoccupation principale est naturellement l'élément vivant et finalement humain (biosphère). Le traitement complet de l'ensemble des problèmes nécessite par conséquent à un moment donné : - soit l'intervention d'équipes pluridisciplinaires comprenant des physiciens et des biologistes, - soit la collaboration souple et confiante d'équipes respectivement composées de physiciens et de biologistes.» 741

Pour Tanguy, chef du DSN (Jean Bourgeois en est le Directeur), qui tient à préciser qu'il livre son sentiment personnel, dans les deux domaines de la physique et de la biologie, «il est difficile de fixer une limite à l'ampleur des études qui peuvent être développées presque à l'infini si on veut entrer de plus en plus dans le détail.» 742 C'est pourquoi, il estime en 1975 que la priorité des efforts pour permettre l'analyse d'un site donné devrait être consacrée aux études physiques, en particulier atmosphériques. Cette priorité donnée aux aspects physiques poursuit la voie de Bourgeois qui luttait au tout début des années soixante-dix contre les prétentions du département de protection au sein du CEA. La suprématie des physiciens se poursuivra au sein de l'IPSN à sa création fin 1976, ses responsables seront toujours de formation physicienne, et ce n'est que dans les années récentes que l'on note la montée dans les plus hautes responsabilités de dirigeants issus de formations biologique ou médicale.

Dans la tentative d'élaborer un critère objectif d'évaluation des sites, il faut faire collaborer différentes disciplines, mais toutes les incertitudes propres à chacune d'entre elles se cumulent :

  1. incertitudes sur les probabilités d'incident, sur les types de rejets à la source (vitesse d'émission, angle d'émission, hauteur, direction, durée); il y a tout un spectre de rejets à étudier, à quoi s'ajoutent les phénomènes secondaires comme les dépôts et les décroissances;
  2. incertitudes sur les données météorologiques (probabilité ou fréquence des données météo en particulier probabilité de présence du vent, diffusion turbulente : une première simplification consiste à ne s'intéresser qu'à la diffusion atmosphérique, principal vecteur des produits radioactifs, mais il faut tenir compte des coefficients de transfert en fonction de la distance);
  3. incertitudes sur les seuils d'équivalents de dose d'apparition des dommages corporels : pour simplifier, on peut retenir deux seuils, mais cela est contesté : un seuil pour les irradiations bénignes, un pour les irradiations graves;
  4. incertitudes enfin sur les données démographiques : cette question est moins délicate, il suffit d'émettre une hypothèse sur leur évolution future. Ces données doivent être présentées en fonction du sens des vents selon une distribution en secteurs de 20 degrés d'une profondeur de 5 ou 10 km et allant à une distance jusqu'à 50 ou 100 km de la centrale.

Mais à toutes ces incertitudes concernant les événements susceptibles d'être provoqués par la centrale (dénommés «événements d'origine interne»), il faut ajouter le rôle des agressions externes provoquées éventuellement par les industries voisines mais surtout par des phénomènes naturels comme les séismes et les inondations : dans ce domaine, seule la voie probabiliste permet d'établir des critères.

Exemple de répartition de la population par secteur .
Exemple de répartition de la population par secteur .

Source : Clément, B., «Analyse de la sûreté des centrales électronucléaires françaises et critères», Radioprotection, Vol. 10, n°3, 1975, p.139.

Notes
741.

Doury, A., «Les sites et la sûreté des installations nucléaires», Bulletin d'Informations Scientifiques et Techniques, N°208, novembre 1975, pp. 11-18. Doury est chef de la Section d'Etudes de Sûreté des Sites Nucléaires au DSN.

742.

Tanguy, Pierre, «Sûreté des réacteurs et choix des sites», Bulletin d'Informations Scientifiques et Techniques, N°208, novembre 1975, pp. 5-10.