12.3.4.1. Le Pellerin

La procédure de demande d'enquête d'utilité publique pour l'implantation d'une centrale nucléaire de 4 tranches de 1300 MWe sur le site du Pellerin, en Loire-Atlantique est lancée en juillet 1976. Pour EDF, l'implantation d'une centrale dans cette la région des Pays de la Loire doit permettre de compenser le déficit de production électrique dont souffre l'Ouest de la France, tout en répondant aux options du schéma d'aménagement du territoire concernant cette région. D'abord envisagée en Bretagne, l'opposition des populations 750 aux sites d'Erdeven (Morbihan), Plogoff (Finistère), puis Ingrandes (Maine-et-Loire), Corsept (Loire-Atlantique), Bretignolles (Vendée), amène EDF à envisager d'autres sites et à finalement retenir celui du Pellerin, à une quarantaine de kilomètres de Nantes.

Après un an d'enquête, l'utilité publique est déclarée en mai 1977, à la suite d'une procédure qualifiée par les opposants de «parodie», le maire (socialiste) de Nantes dénonçant «la mauvaise foi des commissaires enquêteurs» qui lui «apparaissent comme étant aux ordres d'un gouvernement qui, désormais, tente d'opposer le pouvoir administratif au pouvoir politique.» 751 Selon les procédures d'autorisation de construction, c'est alors aux services de sûreté de donner leur avis. «A la surprise générale», note La Gazette Nucléaire, «leur avis fut très nettement négatif.»

L'avis des experts du DSN consulté par le SCSIN dès 1976 est en effet formel : sur le plan de la sûreté, le site du Pellerin est inacceptable. Si les caractéristiques sismiques du site méritent une attention particulière, les experts sont particulièrement préoccupés par l'environnement industriel et surtout démographique du site. Le calcul de l'indice par pondération directe des données météorologiques et démographiques jusqu'à 50 km classe nettement le site parmi les moins acceptables, et le calcul du même indice effectué dans un rayon de 20 km le classe en dernière position après 17 autres sites français, en fonctionnement, en cours d'étude ou en projet. Cette situation est soulignée par des courbes de population : d'après le recensement général de 1975, 397 661 personnes se trouvent dans un rayon de moins de 20 km, 939 026 à moins de 50 km. Ce qui préoccupe le plus les services de sûreté, c'est que l'agglomération nantaise est située sous les vents de dominance atlantique, ce qui signifie que si un accident devait se produire libérant de la radioactivité, il est quasiment certain que le panache radioactif arriverait sur Nantes.

L'opposition des experts du CEA, du Service Central et du CISN restera farouche jusqu'au bout. Les discussions seront très tendues avec la Direction de l'Equipement d'EDF pendant plusieurs années : les analystes demanderont des suppléments d'information, effectueront des compléments d'enquête mais aboutiront inlassablement à la même conclusion.

Dès octobre 1980, la position du ministre de l'industrie André Giraud semble fléchir et il se range aux arguments de ses services de sûreté. Il faut rappeler qu'André Giraud, en tant que ministre de l'industrie, a la tutelle à la fois d'EDF et du SCSIN, et c'est lui qui arbitre entre leurs vues ici contradictoires : s'il réaffirme que la centrale sera bien construite au Pellerin, il évoque la nécessité d'aller «à petits pas comptés à cause de la complexité des études exigées par le gouvernement» 752 , assurant les populations que rien ne se ferait sur le site «sans une information et une concertation complète avec les élus locaux». Deux raisons sont invoquées par le ministre pour expliquer la longueur des délais d'étude au Pellerin, l'engagement des tranches au charbon de Cordemais 4 et 5, qui décale dans le temps l'intérêt du projet du Pellerin «qui a perdu un peu de son urgence» 753 , et le surcroît de travail imposé aux autorités de sûreté par l'accident de Three Mile Island. Cela ressemble fort à un abandon qui ne veut pas dire son nom, pour ne pas perdre la face à un an des élections, et pour ménager les susceptibilités du côté d'EDF.

Interrogés par une journaliste, les experts de sûreté du CEA ne veulent pas déroger à leur devoir de réserve et ne manifestent pas publiquement leur opposition au site du Pellerin. En réponse à la journaliste, notant que la NRC recommande qu'il n'y ait pas plus de 225 000 habitants à 20 km de distance du site et qu'en France, au Pellerin il y en a deux fois plus et presque une fois et demi plus à Cattenom, Pierre Tanguydéclare : «Le choix d'un site n'est pas tellement de notre ressort. Nous, nous intervenons un peu en aval, quand déjà le site, proposé par EDF, a fait l'objet de la DUP et a été accepté par le ministère. Je crois que toutes les premières centrales françaises, c'est-à-dire les 900 MW, ont en général respecté les critères de population américains. Le site du Pellerin quant à lui pose des problèmes, et de fait le ministère a demandé un certain nombre d'études complémentaires. Aucune centrale n'est d'ailleurs encore autorisée au Pellerin et à Cattenom.» 754

Arrivée au pouvoir en mai 1981, la Gauche annonce le 30 juillet 1981 que la centrale de Plogoff ne sera pas construite, et que cinq sites seront gelés, ceux du Pellerin, de Civaux, de Chooz, de Golfech et de Cattenom (pour les tranches 3 et 4). Après différentes missions d'étude, au terme du débat parlementaire d'octobre 1981, et après concertation au niveau des communes et des Régions pour les cinq sites gelés 755 , le gouvernement prend acte des avis favorables exprimés localement en faveur de Cattenom, Chooz et Civaux, et des oppositions aux sites de Golfech et du Pellerin. Pour ces deux derniers sites, les Conseils régionaux sont consultés et rendent un avis favorable, avec des réserves. Lors du Conseil des Ministres du 25 novembre 1981, le gouvernement décide que pour le Pellerin, compte tenu à la fois de l'avis favorable du Conseil Régional et de l'opposition des Conseils municipaux, des études et sondages seront demandés à EDF pour produire un dossier comparatif des sites possibles, permettant le choix définitif du site de la centrale qui sera implantée en Basse Loire.

Les autres sites proposés par EDF en Basse-Loire seront ceux des communes de Rohart et du Carnet. Ces sites ne seront pas jugés beaucoup plus satisfaisants que celui du Pellerin.

Notes
750.

D'après La Gazette Nucléaire, N°17, Mai 1978. Ce numéro de la Gazette, publiée par le GSIEN, est un dossier spécial consacré au site du Pellerin.

751.

Cité par La Gazette, p. 8, à partir de Ouest-France du 30.8.77.

752.

Cité par Enerpresse, N°2674, Jeudi 9 octobre 1980, Presse, p. 1.

753.

Cité par Enerpresse, N°2675, Vendrdi 10 octobre 1980, Presse, p.1.

754.

Tanguy, P., Cogné, F., «Après l'accident de TMI», La Recherche, N°102, juillet-août 1979, p. 803. Ils sont interrogés par Martine Barrère.

755.

Cf. Lamiral, op. cit., pp. 252-260.