12.3.4.2. Cattenom

Le site de Cattenom, lui, ne sera pas rejeté. Si les experts ne veulent pas intervenir dans le débat public, des fuites parues dans la presse permettent de montrer l'opposition des experts et du Service Central, en particulier pour le site de Cattenom.

Dans son numéro 26/27, La Gazette Nucléaire, reproduit une lettre de Chrisitian de Torquat, chef du SCSIN, adressée au Directeur du Gaz et de l'Electricité du ministère de l'industrie. 756 Ce dernier ayant adressé le dossier d'enquête relatif à la déclaration d'utilité publique des travaux de construction d'une centrale nucléaire (deux tranches de 900 MWe et deux tranches de 1300 MWe) sur le site de Cattenom, demandait l'avis du SCSIN sur les problèmes de sûreté qui pourraient être liés au choix de ce site. Christian de Torquat répondait : «j'estime que le site de Cattenom présente, notamment du point de vue de la répartition de la population, des caractéristiques nettement plus défavorables que la plupart des sites précédemment utilisés pour l'implantation de tranches nucléaires. Cette constatation m'a amené, dès le 29 octobre 1975, à appeler l'attention du ministre sur les réserves de mon service sur le choix de ce site.» Ne disposant pas de critères de choix 757 concernant la densité et la répartition de la population, il ne pouvait que maintenir «les réserves (…) déjà exprimées depuis plus de deux ans sur le choix du site de Cattenom pour l'implantation de tranches nucléaires.» 758

Les autorisations de création seront accordées le 24 juin 1982 pour les trois premières tranches de Cattenom, le 29 février 1984 pour la quatrième. Sur le plan des critères techniques d'évaluation du site, Cattenom apparaît nettement moins défavorable que Le Pellerin. Il est ici délicat de disposer de disposer de sources archivistiques étant donné la proximité temporelle des décisions et le fait que l'autorisation de construction a été finalement accordée. S'il est difficile de savoir quels sont les arguments qui dans ce dernier cas l'ont emporté, on notera simplement que du point de vue technique, le site le plus inacceptable a finalement été rejeté, malgré les pressions, le site moins défavorable a lui été accepté. En ce sens, les services de sûreté et leurs experts ont, au moins dans le cas du Pellerin, été écoutés. Leur résistance a sans aucun doute contribué (mais dans quelle mesure cela a-t-il été décisif ? ), en plus de l'opposition des populations et des élus locaux, à l'abandon du projet.

Notes
756.

Lettre SIN 282/78 du 5 février 1978, reproduite par La Gazette Nucléaire, 26/27, mai-juin 1979, p. 10.

757.

Christian de Torquat indique que c'est le CISN qui a été chargé d'élaborer de tels critères et qu'il en attend encore les résultats. De tels critères de choix des sites avaient en effet été préparés par le secrétariat général du CISN du fait du caractère très interministériel de cette tâche (Industrie pour la sûreté, Santé pour les risques d'irradiation en cas d'accident, Intérieur pour la démographie et les plans d'intervention, Défense pour l'intervention éventuelle de la gendarmerie…) Le ministère de l'Industrie s'est opposé à leur publication. Une rivalité perdure entre les différents services administratifs : de Torquat est le successeur de Jean Servant à la tête du SCSIN du ministère de l'industrie depuis le 30 juin 1977, alors que Servant est depuis août 1975 le Secrétaire général du CISN placé auprès du Premier Ministre. Ces querelles conduiront à la démission de Jean Servant en décembre 1980, s'estimant dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, en particulier le tout nouveau rôle d'inspecteur général de la sécurité nucléaire pour les installations civiles que lui avait assigné le Premier ministre. Le ministère de l'industrie refusera d'être soumis au contrôle par cet inspecteur, ce qui explique ces chicanes administratives. Le journal Le Point s'étant procuré la lettre de démission de Servant qu'il publie dans son numéro 430 du 15 décembre 1980, attribuera le départ du secrétaire général du CISN à une reprise en main de l'administration par le ministère de l'industrie. Cette hypothèse est confirmée par la personnalité du successeur de Jean Servant, Bernard Augustin, sous-préfet, qui était jusque-là chargé de mission à la Direction générale de l'énergie et des matières premières. La presse et l'opposition interpréteront le départ de Servant comme une mise à l'écart d'un gêneur, d'un homme intègre et préoccupé de la sûreté, parce qu'il se serait opposé à Giraud, pour des raisons de sûreté à l'implantation des installations sur le site du Pellerin. Giraud s'était semble-t-il déjà rangé à l'avis de Servant sur la question du Pellerin, et cette mise à l'écart relève, selon Servant, essentiellement de dysfonctionnements dans la pratique de la gestion administrative. Cette version est moins sensationnelle et plus triviale : elle ne montre pas que les gens du ministère de l'industrie ne faisaient pas leur travail correctement en matière de sûreté (de Torquat s'est également opposé au Pellerin), mais simplement qu'ils n'admettaient pas que quelqu'un soit chargé auprès du Premier ministre de venir les surveiller.

758.

Lettre SIN 282/78 du 5 février 1978, reproduite par La Gazette Nucléaire, 26/27, mai-juin 1979, p. 10.