13.1.2. Une situation de crise

A vingt heures, il semble que l'accident est terminé : l'enceinte est isolée, le fluide primaire circule et refroidit le cœur. Mais toute inquiétude n'a pas disparu : une véritable situation de crise 763 va perdurer pendant plusieurs jours du fait de controverses entre experts sur la quantité d'hydrogène présente au sommet de la cuve et sur l'évaluation du risque d'explosion qu'elle représente.

En effet, la confusion va régner entre les experts de l'autorité de sûreté américaine (la NRC) dépêchés sur place, ceux restés à Washington, et ceux des exploitants (Metropolitan Edison) ou du constructeur Babcock & Wilcox, tandis que les autorités qui se veulent rassurantes émettent des informations contradictoires, auxquelles s'ajoutent les avis de laboratoires ou scientifiques indépendants, toutes informations relayées, amplifiées, mais parfois aussi déformées par les médias, provoquant ou attisant la panique parmi les autorités de l'Etat de Pennsylvanie et la population. Il s'avérera que l'évaluation faite par l'exploitant sur l'innocuité du risque était exacte et que le risque d'explosion était nul dans les conditions où se trouvaient les gaz dans l'enceinte 764 . Il faudra plusieurs jours pour en convaincre la NRC, dont un expert avait émis une théorie qui s'avéra fausse, suivant laquelle le rayonnement dans le réacteur pourrait provoquer la décomposition de l'eau en hydrogène et oxygène, fournissant ainsi l'oxygène nécessaire à l'explosion qui pourrait détruire la cuve sous pression. Le risque d'explosion est un problème ardu sur le plan scientifique : il dépend de la quantité de gaz, de leur nature, température et pression. De plus, l'explosion de ces gaz risquerait de détruire la cuve et l'enceinte, libérant à l'extérieur la radioactivité. Le suspense va ainsi durer plusieurs jours.

Après avoir acquis la conviction qu'il n'y a pas de risque immédiat d'explosion, on décide de réduire progressivement la taille de la bulle par dissolution des gaz dans l'eau primaire et en les évacuant par un évent au sommet du pressuriseur.

Alors que la question de l'explosion de la bulle d'hydrogène dans la cuve divise les experts, un autre sujet d'inquiétude provient des effluents radioactifs, car il y avait en dehors de l'enceinte une importante quantité d'eau radioactive et de gaz radioactifs stockés dans des réservoirs situés dans les bâtiments auxiliaires. Le vendredi 30 mars, l'exploitant a décidé de rejeter une partie de la radioactivité à la cheminée pour libérer des réservoirs de stockage. Du fait de ces rejets, le gouverneur a été amené, sur une suggestion de la NRC, à recommander à la télévision l'évacuation des femmes enceintes et des enfants dans un rayon de 8 km autour de la centrale.

Fin avril, l'accident est proprement terminé. Les conséquences radiologiques sont faibles : les rejets à l'extérieur sont estimés à 13 millions de curies de xénon et une dizaine de curies d'iode : d'après les spécialistes, un individu théorique séjournant en permanence à la limite du site, dans la direction du vent, aurait reçu une dose maximale de 100 mrem (1mSv), équivalent à la dose annuelle d'irradiation naturelle. Des irradiations plus importantes ont affecté le personnel de conduite (30 à 40 mSv) au cours d'opérations concertées de prise d'échantillons d'eau primaire. 765

Notes
763.

Très bien décrite par Pharabod, J.-P., Schapira, J.-P., Les jeux de l'atome et du hasard, Calmann-Lévy, Paris, 1988, pp. 107-114.

764.

D'après Tanguy, «L'accident de Harrisburg…», op. cit. p. 529.

765.

D'après Jacques Libmann, Approche et analyse de la sûreté des réacteurs à eau sous pression, INSTN-CEA collection enseignement, 1986, p. 124. Jacques Libmann a fait toute sa carrière au CEA, avant de se tourner vers la sûreté en entrant à l'IPSN en 1976.