13.1.3. Les conséquences de l'accident

Si les conséquences radiologiques sont limitées, les conséquences au niveau du cœur dépassent toutes les estimations : ce n'est que six ans plus tard, en 1985, qu'on apprendra l'étendue réelle des dégâts sur le cœur du réacteur, en faisant passer une caméra de télévision entre les structures. En 1979, les spécialistes de sûreté français, comme les experts américains, estiment en effet que les conséquences sur le cœur sont limitées. Ceci illustre le choc conceptuel : qu'un incident aussi banal au départ ait pu dégénérer un accident grave était presque inimaginable. Quelques semaines après l'accident, on pense encore pouvoir faire redémarrer le réacteur après avoir décontaminé la radioactivité et retiré le cœur.

Plusieurs sondes 766 introduites à partir de l'été 1979 montrent un niveau de radiation très élevé. Ce n'est qu'en juillet 1980 que deux ingénieurs, en combinaison, pénètrent à l'intérieur de l'enceinte pour mesurer en différents points les niveaux de radioactivité, d'autres équipes permettront par la suite de dresser un état des lieux plus fidèle; les travaux de décontamination commenceront début 1982. Des caméras introduites en mai 1982 montrent un vide dans la partie supérieure centrale du cœur, et un lit de débris au fond de ce dernier. En 1983 un examen par sonar (ultrasons) permet de dresser une carte plus précise des dommages, d'où il ressort que le vide s'étend presque jusqu'aux bords du cœur, et qu'il ne reste vraisemblablement aucun assemblage de crayons de combustible intact. Ce n'est qu'en 1985 que l'on découvre que les dégâts sont beaucoup plus graves que prévu. Le cœur occupait initialement un volume de 33 m3 et un vide de 9 m3 est apparu dans sa partie supérieure. Deux couches de débris se sont formées, dont l'une au fond de la cuve. Les ingénieurs doivent admettre que le cœur a bien fondu, et même à environ 39%, lors de l'accident. En 1988, un autre expert explique qu'il est encore «impossible d'expliquer clairement le déroulement de l'accident et en particulier d'expliquer pourquoi il n'y a pas eu de défaillance de la cuve du réacteur.» 767

Un programme international 768 d'investigation débutera en 1988 afin d'examiner le fond de la cuve. Après évacuation des débris, un prélèvement d'échantillons en 1990 montre comment la cuve a réagi : une partie des débris du cœur s'est solidifiée au contact du fond de cuve et a protégé thermiquement le fond de cuve contre les écoulements ultérieurs de cœur fondu. Par contre, si les examens montrent qu'il ne pouvait pas y avoir de rupture de la cuve étant donné les conditions de températures et de pression qui ont régné pendant l'accident - et cette non rupture de la cuve a constitué une ligne de défense essentielle - ces examens indiquent que la rupture aurait pu se produire par fluage dans des conditions de température et de pression plus élevées.

Notes
766.

La suite du récit s'inspire Pharabod et Schapira, op. cit.

767.

Daniel Quéniart, «Les risques et les accidents dans le nucléaire civil. Comparaison avec d'autres grandes industries», Colloque Radioactivité, Nucléaire et Environnement, AFITE-SFEN, 7 avril 1998, pp. 63-77.

768.

D'après Bourgeois et al., op. cit., p. 107.