En effet, outre l'analyse des problèmes techniques concernant la sûreté nucléaire, l'action des Pouvoirs Publics et l'information des populations en cas d'accident sont les deux aspects qui ont particulièrement attiré l'attention des observateurs étant donné la situation de crise qui a régné pendant plusieurs jours. C'est le cas notamment du ministère de l'industrie qui constitue une Mission d'information. La mission se rend aux Etats-Unis du 29 avril au 5 mai afin de compléter les renseignements techniques recueillis par la première mission et examiner le dispositif mis en œuvre par les autorités américaines à l'occasion de l'accident et enfin analyser les conditions dans lesquelles ont été élaborées et diffusées les informations en cette circonstance.
La mission du ministère de l'industrie, présidée par Bernard Augustin, conseiller du ministre de l'industrie, comprend, outre les experts de la mission précédente (Roche et Cayol) deux représentants des ministères intéressés (J.M. Fauve, chargé de mission à la Direction Générale de l'Energie et des Matières Premières du Ministère de l'Industrie; le Général Marchand de la Direction de la Sécurité Civile du Ministère de l'Intérieur), et six journalistes 788 .
Dans son rapport 789 remis à André Giraud au début du mois de juin, la mission note en introduction que «jamais depuis la guerre du Vietnam et l'affaire du Watergate les Etats-Unis n'avaient connu un tel débat national.» Un mois après les événements, l'accident faisait encore la une des médias, témoignant par là même du traumatisme de l'opinion américaine. A propos de ce qui est ressenti comme une véritable humiliation technologique, la mission rapporte la formule employée par les anti comme les pro-nucléaires parlant de l'accident comme d'un «Vietnam pour la technologie américaine». La presse américaine, qui a selon eux mal supporté d'être très mal renseignée dans les premières heures de l'accident ne ménage personne : «ni la Metropolitan Edison accusée d'incompétence en matière de technique et d'information, ni le constructeur de la chaudière nucléaire Babcock et Wilcox particulièrement muet tout au long de l'accident, ni les compagnies d'électricité en général dont on doute qu'elles soient toutes qualifiées pour exploiter des centrales nucléaires ni la NRC suspectée d'accorder avec un peu trop de légèreté des licences d'exploitation, ni le Colonel Henderson responsable de la Défense Civile de l'Etat de Pennsylvanie.» 790 Le rapport souligne le caractère exceptionnel de l'événement (200 000 personnes environ ont abandonné leur domicile) et sa dimension psychologique (peur spécifique de l'opinion à l'égard de l'atome). La diversité des sources d'information et leur crédibilité, les contradictions entre les nouvelles diffusées, les difficultés de communication entre les spécialistes utilisant un langage trop technique et les journalistes, ont largement contribué, par la confusion créée, à la panique parmi les populations locales et au retentissement national et mondial de la crise.
A partir des enseignements tirés de l'analyse de ces phénomènes, les membres de la mission émettent un certain nombre de propositions pour l'amélioration des dispositions prises en France en cas d'incident sur une centrale nucléaire.
Celles-ci consistent pour l'essentiel en une centralisation de l'information, que ce soit au niveau de l'exploitant qui devrait désigner pour chaque centrale un cadre de haut niveau susceptible de jouer un rôle de porte-parole vis-à-vis de la presse, ou au niveau des Pouvoirs Publics, qui devraient constituer dès les premières heures d'un accident un Etat-Major «Information de la presse et du Public» sous la responsabilité du préfet. Cet état-major comprendrait un représentant préalablement désigné, de l'exploitant, du SCSIN, du SCPRI, de la Protection Civile du Département. Un responsable de ce pool serait chargé des conférences de presse et en cas de crise «toutes les personnes désignées devraient constituer, pour chacun des organismes qu'ils représentent, un passage obligé de toutes les informations techniques, des projets de décision et des dernières appréciations de la situation». 791 Un certain nombre de moyens matériels devraient être mis sur pied : un centre de renseignements téléphoniques, la diffusion par le Ministère d'un dossier à toutes les rédactions comprenant entre autres un glossaire des termes techniques, une notice donnant la signification des unités employées avec des échelles de comparaison, «une liste de personnes notamment du CEA (a priori étrangers à EDF et à l'IPSN) habilitées à donner des éclaircissements techniques généraux aux journalistes sur l'énergie nucléaire, la technologie nucléaire, les unités de mesure et d'une façon générale des explications permettant aux journalistes d'apprécier la portée des informations techniques en leur possession». 792
Derrière des impératifs d'efficacité de la communication, on ne peut manquer d'être frappé par la teneur «policière» de ces recommandations, et cette vision de «l'information», préalablement filtrée, et distillée sous la houlette d'un préfet.
Cet état d'esprit est dans la droite ligne de celui du commanditaire du rapport : dans son discours devant l'Académie des Sciences le 15 octobre où il remercie les Académiciens pour leur travail, André Giraud, ministre de l'industrie, généralise le propos en justifiant la politique du secret. Au cours de son exposé consacré aux rapports entre science et industrie il aborde la question de l'information sur les nouvelles technologies :
‘«D'une part, elle doit être accessible aux contre-expertises - et dans ce cas elle doit être détaillée -, d'autre part, elle doit parvenir au citoyen sous forme assimilable pour lui - et digne de foi puisqu'elle est alors indirecte. (…)Au niveau des experts, ce sera la doctrine officielle jusqu'à nos jours : aucun document de travail des experts n'est public, que ce soient ceux de l'IPSN ou ceux des Groupes permanents, afin de permettre aux experts de discuter entre eux le plus librement possible. Les décisions du SCSIN, l'autorité administrative, seront elles au cours des vingt ans qui suivront de plus en plus rendues publiques.
Serge Chauvel-Leroux du Figaro, Jean-Loup Demigneux de TF1, Georges Leclere d'Antenne 2, Jean-Marie Pelou pour l'AFP, Michel Saint-Setiers du Dauphiné Libéré, Alain Wieder d'Europe 1.
Mission d'étude sur le déroulement de la crise, L'accident nucléaire de Three Mile Island, Sofedir, 4 juin 1979.
On trouvera de larges extraits de ce rapport dans la Revue Générale Nucléaire : «TMI : les difficultés de l'information pendant la crise», RGN, N°3, Mai-Juin, 1979, pp. 318-320, ou encore dans la Revue de l'Energie : «L'élaboration et la diffusion de l'information pendant la crise de Three Mile Island», Revue de l'Energie, 1979, pp. 536-543.
RGN-Actualités, «TMI : les difficultés…», op. cit., p. 318.
Ibid.
Ibid.
Cité dans le Bulletin SN, N°11, Septembre-octobre 1979, p. 6.