13.3.3. La sûreté en exploitation

13.3.3.1. L'analyse technique et les actions post-TMI

Comme leurs homologues étrangers, les ingénieurs français vont mener une étude approfondie de l'accident de Three Mile Island, qui conduit à certaines modifications des installations et des conditions d'exploitation.

L'ensemble des spécialistes de sûreté est reconnaissant de l'attitude d'ouverture des Américains, que ce soit de la part de l'autorité de sûreté, la NRC, ou des organismes liés à l'industrie comme l'Electric Power Research Institute (EPRI) qui ont fourni dès le premier jour toutes les informations dont ils disposaient et les résultats de leurs analyses et réflexions, ce qui a largement facilité l'analyse de l'accident et les leçons à en tirer pour les réacteurs français 805 . Côté français, on note que cette analyse a été facilitée par le fait qu'il n'existe en France qu'un seul maître d'œuvre (EDF), un seul constructeur (Framatome), et que les tranches ont été réalisées par paliers techniques standardisés, ce qui a permis de limiter le nombre des études à entreprendre et de généraliser les améliorations possibles.

Dès le 31 mars, EDF décide l'envoi d'un expert aux Etats-Unis, tandis que début avril, la Direction de l'Equipement (DE) et le Service de la Production Thermique (SPT) d'EDF lancent un groupe de réflexion auquel est associé Framatome, puis l'IPSN. Le 18 avril, le Ministère de l'Industrie, par la voie du Directeur de la Qualité et de la Sécurité Industrielles, écrit au Directeur Général d'EDF pour faire le point sur les premières informations reçues de la NRC, demandant à EDF d'examiner quels enseignements peuvent être tirés pour ses propres réacteurs. Constatant que trois des anomalies détectées à TMI relèvent de conditions d'exploitation et de maintenance des installations, il décide de renforcer l'action de surveillance exercée par les inspecteurs des Installations Nucléaires de Base. Le Ministère de l'Industrie demande également à EDF d'établir, dans un délai d'un mois, les premières actions à entreprendre concernant les points techniques 806 tirés de l'analyse de l'accident.

En réponse à la demande du Ministère, le Directeur Général Adjoint d'EDF rend compte le 18 mai du dossier établi par la DE et le SPT traitant des premières conclusions générales sur les enseignements de l'accident de TMI pour les réacteurs français. La première conclusion est que la méthodologie d'analyse de sûreté et de conception des réacteurs à eau pressurisée, basée sur les concepts de défense en profondeur et de l'accident enveloppe n'est pas remise en cause par l'accident américain. Deuxième conclusion, il convient de porter une attention plus grande aux incidents de fréquence modérée, initiateurs possibles d'accidents et donc d'améliorer la fiabilité des matériels pouvant les induire. Il faut enfin faire porter l'effort sur les réactions de l'opérateur et la possibilité d'établir un diagnostic d'incident fiable en fonction de l'état de la centrale. EDF communique également les premiers objectifs d'action.

Sur la base de la réponse d'EDF et d'un rapport établi par l'IPSN intégrant les informations recueillies par les différentes missions françaises envoyées aux Etats-Unis, le Groupe Permanent chargé des réacteurs nucléaires se réunit durant quatre journées en juin et juillet 1979. A l'issue de ces réunions, il transmet un avis au SCSIN : selon le Groupe Permanent, la raison fondamentale de l'aggravation de l'accident de TMI est que l'opérateur n'avait pas, pendant les premières heures de l'accident, établi de diagnostic exact sur la nature de celui-ci et sur la situation qui, à terme, en avait résulté, ce qui l'avait conduit à des actions inappropriées. Le Groupe Permanent en conclut que l'analyse de sûreté doit dans l'avenir s'attacher davantage aux problèmes rencontrés dans l'exploitation des réacteurs. Plus précisément, l'accent doit être mis sur la cohérence entre les systèmes de sauvegarde tels qu'ils sont conçus pour faire face aux accidents, et les règles et procédures que devraient suivre les exploitants si ces accidents survenaient. Il recommande également un certain nombre d'études et de modifications ponctuelles relatives à la conception, à l'instrumentation ou à l'exploitation des réacteurs.

Dans une lettre du 3 août 1979 à EDF, le SCSIN reprend l'essentiel des recommandations du Groupe Permanent et annonce la mise en place, sous sa responsabilité, d'un groupe de travail comprenant des représentants d'EDF, de Framatome et des autorités de sûreté, ce groupe étant chargé de l'examen détaillé des problèmes d'interface entre la conception et l'exploitation des réacteurs. Jean Bourgeois qui était à la retraite depuis 1978, est rappelé à cette occasion par le Ministère de l'industrie pour prendre la tête de ce groupe sur les facteurs humains : il débute ses travaux en octobre et remet un rapport en 1980 sur les modifications à apporter aux modes d'exploitation.

De son côté, EDF présente en août 1979 un programme détaillé des actions répondant à ses propres préoccupations et aux demandes du SCSIN. Ce programme comprend 46 actions se décomposant en 185 sous-actions élémentaires d'étude ou de modification. Ce programme d'action peut se décomposer en trois grands axes : les études de système, l'amélioration des matériels, la fiabilisation des actions de l'opérateur. En octobre 1980 et juin 1981, le Groupe Permanent examine l'ensemble des actions entreprises par EDF et estime satisfaisantes les solutions proposées. Ce programme colossal, proposé par EDF et accepté par les Autorités de sûreté avec des demandes d'analyse complémentaires, va s'étaler sur plus de dix ans.

Notes
805.

Ce paragraphe s'inspire en particulier de : Fourest, B., Boaretto, Y., Cayol, A., Droulers, Y., Goudal, M., Oury, J.M., «Impact de l'accident de Three Mile Island sur le programme français et sur l'analyse de sûreté», Conférence ANS/ENS sur la sûreté des réacteurs thermiques, Knoxville (USA), 8-11 avril 1980, CEA-IPSN, Rapport DSN N°367 f.

Fourest, Boaretto, Cayol et Droulers représentent l'IPSN, Goudal EDF.

806.

Il s'agit des conditions de démarrage des pompes de l'alimentation des générateurs de vapeur, des conditions de mise en œuvre des appareils destinés à recombiner l'hydrogène, de la capacité des réservoirs disponibles pour contenir des effluents contaminés suite à un éventuel accident.