13.3.5.2. Un exemple d'événement précurseur dont on ne tient pas compte : Davis Besse

L'accident de TMI avait été précédé d'incidents similaires et d'erreurs d'opérateurs. Des rapports avaient été établis sur ceux-ci, annonçant qu'ils pourraient se reproduire. La preuve avait établie que certaines centrales fonctionnaient avec des défauts d'équipements persistants et non corrigés. Tous ces signes furent ignorés ou sous-évalués. Par exemple, depuis 1970, 11 vannes de décharge 819 étaient restées bloquées en position ouverte sur d'autres installations avant la panne de TMI. La commission Kemeny avait noté qu'un inspecteur de la NRC, James Creswell, avait constaté des incidents sur deux réacteurs Babcock and Wilcox dans lesquels les instruments ne donnaient pas d'indication correcte aux opérateurs sur les conditions réelles d'exploitation.

En 1977, un incident sérieux s'était produit à la centrale de Davis Besse, où les systèmes principaux d'alimentation en eau n'avaient pas fonctionné à cause d'une vanne de décharge restée ouverte, et l'opérateur avait mal interprété le niveau d'eau dans le réacteur en se basant sur des indications de niveau du pressuriseur. Ces informations fausses l'avaient déjà conduit à mettre hors service les pompes d'alimentation de secours, ce qui est exactement le scénario qui s'est produit à TMI. Mais à la différence de Davis-Besse qui ne fonctionnait qu'à 9 % de sa puissance nominale, TMI-2 fonctionnait lui à 96%, et la défaillance de la vanne de décharge fut découverte à Davis-Besse après 22 minutes alors qu'elle ne le sera à TMI que plus de deux heures après.

Plus d'un an avant l'accident de TMI, l'inspecteur de la NRC tenta de communiquer ses inquiétudes à sa hiérarchie, à l'exploitant et au constructeur. Finalement il trouva deux commissaires de la NRC qui acceptèrent de l'écouter : le rapport qu'ils envoyèrent à l'équipe de la NRC demandant des réponses aux questions de Creswell fut remis le jour suivant l'accident de TMI. Côté B&W, l'incident de Davis-Besse n'était pas passé inaperçu et deux ingénieurs avaient été envoyés pour investigation. Des employés tentèrent de prévenir les clients de B&W, mais en vain. Des documents internes de B&W révélèrent plus tard que la compagnie était au courant des défauts de ses réacteurs 820 .

L'intérêt du suivi d'exploitation était reconnu depuis longtemps, mais dans les faits, l'attitude était bien plutôt de considérer qu'un incident sans conséquence n'avait pas d'importance.

Notes
819.

Il s'agit des célèbres vannes PORV (pilot-operated relief valves) dans le jargon technique américain.

820.

Nancy G. Leveson (s'appuyant sur Mike W. Martin and Roland Schinzinger, Ethics in Engineering, McGraw-Hill Book Company, New York, 1989) cite un autre exemple montrant comment les signaux précurseurs de TMI furent (mal) traités : un rapport d'un ingénieur de la Tennessee Valley Authority, Carlyle Michelson, à la Division Sûreté des Systèmes de la NRC, avait soulevé la possibilité de formation d'une bulle de vapeur à l'intérieur du système de refroidissement du réacteur. Le rapport mentionnait également le danger d'une mauvaise interprétation du niveau de refroidissement par la lecture du niveau du pressuriseur. A la NRC on ne jugea pas nécessaire d'alerter les exploitants sur cette question. Dix jours après l'accident de TMI, l'ACRS demandait à la NRC d'exécuter les recommandations de Michelson. Nancy G. Leveson, op.cit., p. 65.