13.3.5.3. Les organisations créées pour le retour d'expérience d'exploitation

A la suite de TMI, les préoccupations concernant la sûreté en exploitation se traduisent par la création d'organismes chargés d'assurer une meilleure utilisation de l'expérience d'exploitation des réacteurs nucléaires. Aux Etats-Unis, les différents exploitants fondent en septembre 1979 un institut, l'INPO (Institute of Nuclear Power Operators) pour mener des actions communes dans le domaine de la sûreté. L'Electric Power Research Institute (EPRI) de son côté crée un centre d'analyse de sûreté (Nuclear Safety Anaylsis Center) d'une trentaine de personnes pour étudier l'accident de Three Mile Island 821 et les incidents qui se sont produits sur les centrales pour en trouver les causes profondes. Les résultats de son analyse sont ensuite diffusés à l'ensemble des exploitants concernés. Le centre coordonne la recherche des parades par les exploitants, et après avoir choisi la meilleure solution, en assure le retour vers les centrales nucléaires intéressées par l'incident. La NRC également, dans le cadre d'un bureau d'analyse et d'évaluation de données d'exploitation, développe un outil informatisé de recherche de défaillance de mode commun et d'interactions complexes entre systèmes. Cette recherche utilise des études de séquences et est enrichie par des données historiques d'exploitation.

En Europe, le comité de sûreté de l'agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE (CSNI) met en place en 1980 un système de notification des incidents (IRS) : chaque année lors de la séance plénière qui se tient au mois de novembre, les responsables des différents pays présentent un rapport sur les incidents survenus dans les installations nucléaires dans leur pays. Pour ce qui concerne la France, l'étude des enseignements à tirer des incidents d'exploitation, même mineurs, est devenue une des priorités des responsables de la sûreté avec le démarrage en rafale des centrales françaises. Cette préoccupation n'est pas nouvelle - depuis 1973, le DSN du CEA utilise son propre fichier d'incidents survenus sur les réacteurs nucléaires de recherche et de puissance - mais l'accident de TMI a fait prendre conscience de l'importance qu'il y avait à scruter l'expérience d'exploitation des installations afin de déceler les incidents précurseurs d'accidents graves pour pouvoir prendre à temps les mesures correctives qui s'imposent.

A la suite de TMI, EDF renforce les procédures pour la prise en compte du retour d'expérience (REX). Pour le Service de la Production Thermique (SPT), le service faisant office d'exploitant au sein d'EDF, l'expérience d'exploitation est encore faible au début des années 80. Depuis 1975, le SPT, avec l'aide de la Direction des Etudes et Recherches (DER), a mis au point un fichier qui gère les données relatives aux matériels afin d'en améliorer la fiabilité (le SDRF, système de recueil des données de fiabilité). En 1980, le SPT crée une structure nationale d'analyse des incidents au sein d'un département «Exploitation». EDF se dote ainsi d'un fichier informatique des événements, commun aux trois directions, Direction de l'Equipement, SPT et DER. L'exploitation des données d'exploitation est assurée par des comités mixtes, dont le premier, le Comité de Retour d'Expérience (COREX) est créé à partir de 1981 par la Direction de l'Equipement au sein du SEPTEN : il est chargé de sélectionner et d'analyser les événements survenus avant la mise en service, afin d'étudier d'éventuelles modifications à la conception. Trois autres comités complètent ce dispositif de retour d'expérience : un comité de la Production thermique présidé par un ingénieur du SPT s'occupe des tranches en exploitation, un comité de retour d'expérience relatif aux incidents et événements en fonctionnement et un comité relatif à la technologie du matériel conventionnel.

Depuis 1979, EDF doit transmettre chaque semestre aux Autorités de sûreté les bilans des incidents survenus sur ses centrales. Ce bilan est examiné par le Groupe Permanent. Le SCSIN définit également à EDF plusieurs objectifs pour l'analyse des incidents et l'évaluation de l'expérience d'exploitation du point de vue de la sûreté : tout d'abord, il faut détecter les précurseurs d'accidents plus sévères et définir les mesures correctives adéquates. Les incidents précurseurs qui justifient un examen en profondeur ne sont pas seulement ceux susceptibles d'entraîner des dommages sur le cœur, mais aussi ceux plus fréquents qui pourraient avoir des effets plus importants pour le public ou le personnel d'exploitation que ceux prévus à la conception. Un deuxième objectif est l'évaluation des points faibles des installations afin d'homogénéiser le niveau de sûreté. L'analyse des incidents doit permettre ensuite de valider les évaluations probabilistes faites a priori sur les systèmes principaux. Enfin le retour d'expérience doit permettre la vérification du bien fondé des mesures prises conformément à l'analyse des incidents. Le SCSIN demande également que l'IPSN analyse de façon permanente les informations fournies par EDF.

A la demande du SCSIN, le fichier des événements d'EDF est transformé début 1981 en un fichier national ouvert aux autorités de sûreté, au DSN de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire et aux Directions interdépartementales de l'industrie des régions comportant des centrales nucléaires. Il sera opérationnel début 1983; 4000 événements environ sont alors répertoriés, parmi lesquels on compte près de 3000 incidents. Le SCSIN souhaite que ce fichier soit utilisé de façon plus large pour pouvoir prendre en compte parmi tous ces événements ceux qui impliquent la sûreté des installations nucléaires. Les utilisateurs peuvent dès lors consulter en temps réel la banque de données des événements. Une organisation est mise en place pour que les informations soient enregistrées dans les meilleurs délais, aussi bien la déclaration proprement dite que les suites qui peuvent être données : l'instruction, les études et la réalisation des modifications.

Notes
821.

Un autre objectif immédiat est de convaincre le public que le nucléaire est une énergie sûre. Doté d'un budget de 4,8 millions de dollars, 3,5 millions sont consacrés à l'étude de l'accident, 1,3 à la campagne de relations publiques. D'après Dorothy Nelkin, «The Role of the Expert at Three Mile Island» in : Sills, David L., Wolf C. P., Shelanski, Vivien B. (eds), Accident a Three Mile Island: The Human Dimensions, Westview Press, Boulder, 1982, pp. 143-154.