15.2. L'information sur l'accident de Tchernobyl en France. L'échelle de gravité

Le traitement calamiteux de l'information par les médias occidentaux, alimenté par la communication à minima des autorités soviétiques, par les tensions est-ouest, mais également par l'angoisse des populations à l'égard de la chose nucléaire en général, a été analysée par ailleurs. 899 Pendant une semaine, les estimations les plus folles vont être émises et/ou reprises par les médias faisant état de 2000 victimes, et même de 20 000 morts, avant de revenir à des chiffres plus «raisonnables». La polémique pourra rebondir avec l'épisode de la traversée de l'Europe par le nuage radioactif, mettant en lumière les différences de communication des agences gouvernementales chargées de la radioprotection et les différences dans les mesures sanitaires mises en œuvre par les différents gouvernements. Les médias français seront particulièrement véhéments à l'encontre du Chef du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants du Ministère de la Santé français. A travers toutes ses interventions publiques 900 , le Professeur Pellerin entendait signifier qu'aucune «contre-mesure sanitaire» n'était justifiée en France à la suite de l'accident. Au-delà de sa personne, l'attitude du chef du SCPRI dévoilait le manquement du gouvernement à ses responsabilités, les dirigeants politiques français s'avérant tétanisés dès lors que l'industrie nucléaire nationale pourrait être mise en danger.

Les mesures prises pour remédier au traitement de l'information sont l'une des premières conséquences visibles en France de l'accident de Tchernobyl au niveau des autorités : en même temps qu'il annonce le lancement d'un magazine d'information sur le nucléaire accessible par Minitel (MAGNUC), le ministre de l'industrie modifie l'ancien Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire pour lui assigner une nouvelle tâche, celle d'information sur le nucléaire. 901 Le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'Information Nucléaires (CSSIN) 902 accueille désormais six professionnels de la communication tandis qu'une seconde vice-présidence est créée, à côté de celle confiée au Haut-commissaire à l'Energie Atomique, et confiée au journaliste Pierre Desgraupes. L'une des premières propositions du CSSIN est la mise sur pied d'un groupe ad hoc chargé de réfléchir à un système de critères objectifs qui permette d'établir une échelle de cotation des incidents et accidents nucléaires suivant leur gravité. Piloté par le Service Central, le groupe composé de journalistes, de représentants d'EDF et de l'IPSN se réunit pour la première fois en octobre 1987. Il propose une échelle à six niveaux, partant du bas de l'échelle avec les anomalies de fonctionnement (niveau 1) jusqu'aux accidents majeurs (niveau 6) en haut de l'échelle, dans le même esprit que l'échelle de classement des tremblements de terre. Cette échelle se veut un outil destiné à faciliter la communication entre les techniciens de l'industrie nucléaire et l'opinion publique, les journalistes en particulier, qui peuvent ainsi très simplement avoir une idée du degré de gravité de tel ou tel événement à partir de l'annonce de son niveau de classement.

Après une période de rodage, l'échelle rentre en application le 20 avril 1988. C'est au départ l'exploitant qui, sur la base des directives données pour le classement et selon son propre jugement, affecte le niveau de gravité à un incident survenu sur son installation. Ce niveau est éventuellement modifié ensuite par les autorités de sûreté. Après la France et le Japon qui adopte une échelle à 8 niveaux, une échelle basée sur le même principe sera élaborée par l'OCDE et l'AIEA sous le nom d'INES (International Nuclear Event Scale), qui comporte sept niveaux (le niveau 5 de l'échelle française est scindé en deux pour distinguer les accidents entraînant un risque hors du site d'un accident grave qui a vu un rejet important de radioactivité).

Echelle de gravité des incidents et accidents dans les réacteurs électronucléaires. Source : Bulletin SN, N°62, mars-avril 1988.
Echelle de gravité des incidents et accidents dans les réacteurs électronucléaires. Source : Bulletin SN, N°62, mars-avril 1988.

Source : Bulletin SN, N°62, mars-avril 1988.

Notes
899.

Cf. Strazzulla Jérôme, Zerbib Jean-Claude, Tchernobyl, La documentation française, Paris, 1991. En particulier le chapitre intitulé «De folles rumeurs à la Une», pp. 17-48; et Sharon M. Friedman, Carole M. Gorney, Brenda P. Egolf, «Chernobyl Coverage: how the US media treated the nuclear industry», Public Understand. Science, 1, 1992, pp. 305-323; Hans Peters Peter, «The Credibility of information sources in West Germany after the Chernobyl disaster», Public Understand. Science, 1, 1992, pp. 325-343.

900.

Les différentes interventions télévisées dans les jours qui suivent l'accident des responsables de la sûreté et de la radioprotection, et en particulier les dépêches du professeur Pellerin à l'AFP, sont reproduites dans l'ouvrage très polémique de Jean-Michel Jacquemin-Raffestin, Tchernobyl. Aujourd'hui les Français malades, Editions du Rocher, Paris, 2001.

901.

Bulletin SN, N°55, janvier-février 1987.

902.

Décret N°87-137 du 2 mars 1987. André Blanc-Lapierre, membre de l'Académie des Sciences en assure la présidence jusqu'en octobre 1990. Mauricie Tubiana, directeur de l'Institut Gustave Roussy lui succède jusqu'en mars 1993.