15.5. Les accidents de réactivité

Malgré l'accent mis par les experts occidentaux sur les spécificités des réacteurs RBMK et les pratiques de sécurité laxistes des soviétiques pour expliquer qu'un accident de ce type serait inconcevable sur leurs réacteurs, l'accident de Tchernobyl allait pousser dans le sens d'un réexamen de la sûreté des réacteurs en service à l'Ouest. En particulier, l'accident de Tchernobyl allait remettre à l'ordre du jour un type d'accident qui avait été la préoccupation majeure des toutes premières études de sécurité des réacteurs dans le monde, à savoir la possibilité d'accidents de réactivité, c'est-à-dire d'un emballement de la réaction en chaîne conduisant à des conséquences inacceptables. Cet aspect de physique neutronique était en quelque sorte passé au second plan depuis les années soixante où les principales craintes des ingénieurs se concentraient sur la possibilité d'une perte de la fonction de refroidissement du cœur par une brèche dans le circuit d'évacuation de la chaleur (le célèbre LOCA).

A partir de Tchernobyl, la Nuclear Regulatory Commission demande que soient étudiés des scénarios d'accident de criticité qui pourraient provenir soit de l'éjection de barres de sécurité, soit de l'injection d'eau non borée dans le cœur. Dans les réacteurs à eau pressurisée en effet, le contrôle de la réactivité se fait par l'intermédiaire des grappes de commande mais également par l'adjonction d'acide borique (le bore est un absorbant neutronique) dans l'eau du fluide primaire. Les études menées en France aboutissent à la conclusion qu'il serait nécessaire que trois barres de contrôle soient éjectées simultanément pour que l'intégrité du combustible soit gravement affectée, ce qui paraît pouvoir être exclu compte tenu des dispositions prises.

Par contre, à partir de 1988 les études sur le niveau de protection des réacteurs à eau pressurisée d'EDF vis-à-vis des risques d'accidents de criticité révèlent l'existence de scénarios, qui in fine pourraient conduire à la ruine de l'enceinte de confinement et au rejet de radioactivité dans l'environnement. Le scénario envisagé part de la possibilité d'une injection d'eau pure dans le cœur en lieu et place d'eau borée. Un bouchon d'eau non borée pourrait se constituer dans une boucle du circuit primaire. Cette eau non borée serait injectée dans le cœur, entraînant une divergence rapide, un dépôt d'énergie de plus de 300 calories par gramme dans les pastilles de combustible provoquant leur éclatement et la dispersion de poussières très chaudes. Au contact de l'eau de refroidissement, elles provoqueraient une explosion de vapeur, un transitoire de pression et la rupture du circuit primaire avec la création éventuelle de projectiles qui pourraient venir rompre l'enceinte. 913 Pour lever les incertitudes sur les différentes séquences de cet accident théorique des études sont lancées qui conduisent à mettre en évidence un scénario plausible pour un accident de ce type : une trop grande dilution de l'acide borique pourrait conduire à une introduction d'eau non borée dans le cœur et à l'accident. Après identification de ce scénario, EDF procède à l'installation sur toutes les tranches 900 d'un automatisme qui doit permettre de détecter cette dilution et d'y remédier, diminuant notablement la probabilité d'occurrence du scénario considéré.

Notes
913.

La nouveauté par rapport aux accidents de criticité pris en compte dans le dimensionnement concerne le risque d'éclatement et de dispersion des pastilles.