16.1. Les problèmes matériels

16.1.1. Les générateurs de vapeur

Parmi tous les problèmes techniques, les générateurs de vapeur vont susciter des inquiétudes croissantes à partir de la fin des années 1980.

On se souvient que les générateurs de vapeur (GV) sont des échangeurs de chaleur qui utilisent la chaleur extraite du cœur par l'eau du circuit primaire pour fabriquer de la vapeur à partir de l'eau du circuit secondaire. Les générateurs de vapeur sont d'immenses appareils d'une vingtaine de mètres de hauteur, de 300 à 400 tonnes selon les modèles. Ils font partie, avec la cuve et le pressuriseur, des récipients du circuit primaire qui est contenu dans le bâtiment du réacteur. Il y a trois générateurs de vapeur pour les tranches 900 MWe, quatre pour les 1300. Les GV sont constitués de milliers de tubes en U dans lesquels circule l'eau primaire. L'eau secondaire qui baigne la face externe des tubes s'évapore à leur contact. Les générateurs de vapeur des réacteurs de 900 MWe comportent 3300 tubes fixés sur la plaque tubulaire, ceux des 1300 MWe en comportent 5400. Ces tubes ont environ 2 cm de diamètre pour 1 mm d'épaisseur et sont soumis à de fortes différences de pression et à des températures supérieures à 300°C.

Par rapport à la présentation classique de la sûreté sous la forme d'une succession de trois barrières indépendantes, les générateurs de vapeur sont l'un des points faibles des installations, car ils constituent à la fois la deuxième et la troisième barrière. Partout ailleurs, lorsqu'on a une rupture du circuit primaire, la vapeur se dégage dans l'enceinte du réacteur, la troisième barrière. En cas de rupture d'un tube de générateur de vapeur, le circuit primaire est mis en communication avec le circuit secondaire. La rupture d'un tube de générateur de vapeur, du fait de la forte différence de pression entre le primaire (155 bars) et secondaire (90 bars), entraînerait une augmentation de pression dans le secondaire et une fuite d'eau primaire contaminée de plusieurs dizaines de kg par seconde vers le secondaire. Si cette brèche primaire sur la deuxième barrière n'est pas compensée par un apport d'eau, elle peut provoquer la rupture des gaines des éléments combustibles (première barrière) par défaut de refroidissement. Or le circuit secondaire est dimensionné pour une pression inférieure à celle du circuit primaire, et il doit être protégé contre les surpressions par des soupapes. Si la pression augmente trop, les vannes de décharge et les soupapes de sûreté du secondaire peuvent s'ouvrir, laissant échapper la vapeur radioactive directement à l'atmosphère. Après la détection d'une rupture, la parade réside dans l'intervention rapide des opérateurs suivant une procédure définie afin d'éviter ou limiter les rejets, en faisant tomber la pression avant que les soupapes du secondaire ne s'ouvrent.

L'état des générateurs de vapeur préoccupe les spécialistes de sûreté depuis des années : le Groupe Permanent Réacteur s'est réuni à la demande du SCSIN en décembre 1984 pour examiner les problèmes de sûreté liés à l'état des générateurs de vapeur sur les tranches en exploitation à la suite de diverses dégradations de tubes. Le Groupe Permanent avait été chargé de s'assurer que les hypothèses retenues dans les études de conception n'étaient pas à remettre en cause. Au vu du nombre plus élevé de ruptures de tubes de générateur de vapeur observé dans le monde et de l'état dégradé sur certaines tranches françaises, des mesures avaient été recommandées, principalement pour limiter les rejets éventuels en cas de rupture. La question de l'état des générateurs de vapeur prend une acuité particulière en 1989-1990 du fait de la mise en évidence de nombreuses fissures de types différents. On constate également un phénomène d'usure par fatigue, par vibration, et la présence de corps migrants. Toutes ces dégradations, qui s'accentuent au tournant de la décennie, pourraient conduire à la rupture d'un, voire de plusieurs tubes de générateur de vapeur, pouvant conduire au scénario accidentel décrit plus haut.

Ecorché d'un générateur de vapeur. Source : Rapport d'Activité DSIN, 1989, p. 68.
Ecorché d'un générateur de vapeur. Source : Rapport d'Activité DSIN, 1989, p. 68.

Or peu avant 1989, au vu des statistiques des ruptures de tubes de générateurs de vapeur - six ruptures se sont produites dans le monde pour 1600 années x réacteurs de fonctionnement - on est amené à rehausser la fourchette de probabilité de cet accident. A l'origine, l'accident de rupture d'un tube de générateur de vapeur était mis en «quatrième catégorie» dans la classification française ce qui veut dire que la fourchette de probabilité de cet événement était estimée entre 10-6 et 10-4 occurrence par réacteur et par an. En 1989, le classement ramène cet événement à un accident de «troisième catégorie», c'est-à-dire à un événement se situant dans une plage de probabilité plus élevée, entre 10-4 et 10-2. Ce changement de catégorie implique que des dispositions soient prises pour que les rejets pour un tel accident soient plus faibles que ceux considérés comme acceptables précédemment. En effet, les conséquences doivent être d'autant plus faibles que la probabilité est élevée. La nécessité de relever cette probabilité est d'ailleurs confirmée au cours de l'année 1989 puisque deux ruptures se produisent sur des centrales américaines, à North Anna et Mac Guire. Les rejets au cours de ces incidents sont limités mais invitent à la prudence.