16.1.1.2. La corrosion sous contrainte côté primaire, une surprise

L'exploitation des centrales allait révéler de nombreux problèmes épineux dus à des défauts de conception, de réalisation ou d'exploitation. Ces problèmes sont délicats car la corrosion est un phénomène physico-chimique très complexe. Et c'est tout d'abord là où on ne l'attendait pas qu'elle a commencé à se manifester, du côté primaire.

Il s'avère en effet que les tubes sont sensibles à la corrosion sous tension principalement dans la zone appelée «zone de transition de dudgeonnage» en sortie de la plaque tubulaire, du côté primaire. Dans le phénomène de corrosion sous contrainte, trois facteurs interviennent : les contraintes, la nature du matériau et le milieu. La corrosion sous contrainte est un phénomène différent de la corrosion généralisée, comme par exemple la rouille, qui s'accompagne d'une perte de matière. Dans le cas des tubes des générateurs de vapeur, la corrosion sous tension se caractérise par l'apparition de fissures longitudinales très nombreuses en peau interne des tubes dans la zone où les contraintes résiduelles dues aux différentes opérations de fabrication sont très élevées. Ces fissures nuisent à la tenue mécanique du tube. Ces phénomènes de fissuration présentent des temps de latence importants, quelquefois plusieurs dizaines de milliers d'heures. Ils sont également favorisés par la température, celle des tubes étant de l'ordre de 325°C. L'eau du circuit primaire est de l'eau presque pure, traitée et contrôlée. Malgré cela, il s'avère en exploitation que l'inconel 600 présente une susceptibilité à la corrosion fissurante sous contrainte.

Jusqu'en 1984, les fissures observées étaient des fissures longitudinales, qui laissaient penser qu'il y aurait une fuite avant la rupture du tube, c'est-à-dire que l'évolution d'un défaut pourrait être détectée par l'augmentation du débit de la fuite. C'est pourquoi le SCSIN avait accepté que les tubes affectés soient laissés en l'état. 921

En 1984, on découvre un phénomène de fissuration circulaire ou circonférentielle. C'est un type de dégradation beaucoup plus gênant dans la mesure où une telle fissuration comporte le risque d'une rupture de tube sans qu'il y ait auparavant fuite. Des études sont alors entreprises pour évaluer la nature, la nocivité et la cinétique du phénomène. En fait, ce sont les fissures circonférentielles axisymétriques, c'est-à-dire affectant le tube d'une manière uniforme sur toute la circonférence qui ne respectent pas le critère de «fuite avant rupture.» 922 L'hypothèse émise en 1985 est que ces fuites sont liées à la conjonction de deux anomalies de dudgeonnage. EDF prend alors la décision de boucher systématiquement tous les tubes présentant ces deux anomalies, et le bouchage est réalisé au fur et à mesure des arrêts de tranches.

Pour améliorer l'état des tubes, différentes solutions ont été examinées, comme l'introduction d'un manchon pour renforcer le tube dans cette partie, ce qui a été fait à Fessenheim. Il s'agit d'une réparation consistant à interposer une manchette entre le tube et le circuit primaire, au niveau de la zone de transition de dudgeonnage. Un autre remède appelé microbillage 923 est proposé par EDF à partir de 1986 pour réduire les contraintes en peau interne : des microbilles viennent marteler la peau interne du tube, induisant des contraintes de compression sur la surface interne des tubes que l'on souhaite protéger, ou du moins des tensions inférieures aux tensions initiales. Mais si la technique semble en 1985 être efficace pour les tubes non encore affectés par le phénomène de corrosion sous tension, les essais sont moins concluants pour les tubes déjà malades.

C'est dans le cadre d'études menées par EDF pour approfondir la connaissance de ces phénomènes de corrosion qu'on découvre en juin 1985 que plusieurs tubes extraits des générateurs de vapeur de la tranche 1 de la centrale de Dampierre présentent des signaux particuliers lors des contrôles par courants de Foucault : outre les fissures longitudinales et les fissures circonférencielles, on découvre un type de dégradation inconnu jusque-là et se manifestant sous la forme d'un réseau de petites fissures longitudinales, très nombreuses et rapprochées, concentrées dans des zones circulaires au niveau des transitions de dudgeonnage. L'hypothèse émise alors sur l'origine de ces défauts serait la présence de soufre sur la peau interne des tubes. 924

Par mesure de prévention un traitement thermique de l'inconel 600 est appliqué en fabrication au faisceau de tube pour les tubes de générateur de vapeur non encore en service afin de diminuer leur sensibilité au phénomène de corrosion sous contrainte. Il est appliqué à partir de la 27ème tranche 900, celle de Blayais 4. Les six derniers 900 et les premiers 1300 reçoivent ainsi des tubes en inconel 600 traité thermiquement. Mais le traitement thermique ne met pas fin aux ennuis des tubes et c'est alors le matériau qui est mis en cause. A partir du palier N4, l'inconel 600 sera remplacé par l'inconel 690, testé depuis de nombreuses années et dont les études auront montré qu'il est moins susceptible à la corrosion sous contrainte que la nuance 600.

En dehors des réparations, l'essentiel de la prévention passe par la surveillance des tubes. Face aux problèmes rencontrés, EDF est amené à établir un programme de renforcement de la surveillance des tubes, en accord avec les autorités de sûreté. Au cours des arrêts de tranche, il est procédé à des contrôles par courants de Foucault, qui permettent de détecter les fissures et de mesurer leurs dimensions. Les contrôles se font par échantillonnage, ils sont plus fins dans les zones où des maladies particulières sont susceptibles de se développer. En 1989, on contrôle 1 tube sur 8. En fonctionnement, on contrôle le volume des fuites entre le circuit primaire et le circuit secondaire. En 1989, on est capable de détecter des fuites de 5 litres par heure. Les progrès des techniques de détection permettront d'aboutir à des seuils de détection des fuites primaire/secondaire de un litre par heure (le critère de fuite admissible en fonctionnement normal était initialement de 70 l/h sur un GV.) La question complexe qui est posée aux experts par la surveillance des tubes est de savoir comment corréler un taux de fuite à un type de défaut, et quel est le risque de rupture des tubes présentant une fuite. Dans le cadre des options de sûreté du palier N4, EDF propose en 1984 une nouvelle technique de détection basée sur la mesure de l'activité en azote 16 du circuit primaire. L'objectif est d'obtenir une plus grande rapidité de diagnostic, la mise en évidence du générateur de vapeur concerné et d'évaluer en continu, et en pleine puissance, le débit de fuite sans aucun prélèvement sur le circuit primaire. Cette technique a d'ailleurs été utilisée par les Allemands qui la jugent suffisamment fiable pour lui associer des actions de protection comme l'arrêt d'urgence du réacteur, le déclenchement de la turbine ou la mise en route de l'aspersion du pressuriseur.

A partir d'un certain taux de fissuration, le tube de générateur de vapeur est bouché. Cette méthode n'est pas extensible à l'infini car à partir du bouchage d'un certain nombre de tubes, le fonctionnement du générateur de vapeur devient problématique pour l'extraction de la chaleur. Le critère retenu par les Américains et repris par EDF est qu'au delà de 15% de tubes bouchés il faut changer le générateur de vapeur. Le remplacement du générateur de vapeur est en effet la mesure ultime. Elle est envisagée dès 1986 pour les générateurs de vapeur de Dampierre 1, le plus affecté des réacteurs du parc. Mais le remplacement des générateurs de vapeur est une opération lourde, dont on ne maîtrisera la technique qu'en 1990, et qui coûte cher.

Notes
921.

Bulletin sur la sûreté des installations nucléaires, N°47, septembre-octobre 1985, p. 12.

922.

Bulletin sur la sûreté des installations nucléaires, N°54, novembre-décembre 1986, p. 11.

923.

«Le microbillage des tubes des générateurs de vapeur des tranches REP 900 MWe», Bulletin SN, N°46, juillet-août 1985, p. 10.

924.

Bulletin sur la sûreté des installations nucléaires, N°47, septembre-octobre 1985, p. 12.