16.1.1.3. La corrosion côté secondaire

Mais après le côté primaire, des problèmes apparaissent du côté secondaire. Grâce aux mesures préventives, le parc français avait été globalement épargné jusqu'en 1990-1991.

Un cas de dégradation d'un tube de générateur de vapeur sur la paroi externe avait cependant été découvert 925 en 1986 à Fessenheim 1. Mais c'est la mise en évidence, en 1989, d'un nouveau phénomène de dégradation sur le réacteur de Nogent à l'issue de son premier cycle de fonctionnement, soit 10 000 heures environ, qui constitue un nouveau sujet de préoccupation pour la sûreté de ces appareils, d'autant que l'anomalie présente un caractère générique pour tout le palier 1300. 926 Les contrôles effectués montrent que les générateurs de vapeur de six réacteurs 1300 sur quinze sont en effet touchés. Mais alors qu'on pense tout d'abord que ce défaut est spécifique des réacteurs 1300, les générateurs de vapeur des 900 sont aussi affectés par le phénomène. Des investigations lancées par EDF montrent que l'anomalie détectée se caractérise par des déformations et des rétrécissements à la base des tubes de générateurs de vapeur. Ces défauts peuvent affecter plusieurs centaines de tubes, généralement situés au centre du faisceau tubulaire. Les études menées par EDF et le constructeur supposent que c'est l'accumulation, sur la plaque à tubes, d'oxydes métalliques et de particules de métal qui conduirait à la dégradation des tubes et dans certains cas à des fissures pouvant conduire à la rupture. En effet, la présence de ces dépôts compacts se traduit par une augmentation des contraintes, soit par le gonflement de ces boues particulièrement dures entraînant la compression des tubes, soit par une augmentation de la température du métal. Ce problème est d'autant délicat qu'il est difficile de maîtriser localement la chimie au voisinage du tube en présence de ces dépôts, en pied de tube. L'origine des dépôts est attribuée à certaines phases de construction ou de mise en exploitation.

Comme dans chaque cas de découverte d'une nouvelle anomalie portant à conséquence sur la sûreté des installations, la procédure est la suivante : le SCSIN examine les résultats des études et les propositions d'EDF pour juger si elles sont aptes à remédier au phénomène rencontré. Pour ce qui touche à la chaudière nucléaire dont font partie les générateurs de vapeur, le SCSIN se base sur l'expertise du Bureau de Contrôle de la Construction Nucléaire (BCCN) et de l'avis de la Section Permanente Nucléaire (SPN) de la Commission Centrale des Appareils à Pression (CCAP). Il dispose également de l'avis du Département d'Analyse de Sûreté (DAS) de l'IPSN, éventuellement suivi de l'avis du Groupe Permanent Réacteur qu'il peut convoquer pour les questions ardues.

A l'occasion de la découverte de l'anomalie affectant le palier 1300, le SCSIN hausse le ton : il indique qu'il n'autorisera le redémarrage des réacteurs affectés que lorsqu'EDF aura apporté la preuve que les générateurs de vapeur sont en mesure de fonctionner pendant un cycle sans risque de rupture de tube. En décembre 1989, le SCSIN estime qu'EDF a apporté des réponses satisfaisantes justifiant que les réacteurs peuvent tenir un cycle, mais que tout risque de rupture ne peut pas être exclu. Aussi le SCSIN n'autorise le redémarrage des réacteurs 1300 concernés que dans des conditions qu'il juge lui-même «particulièrement strictes» : le redémarrage n'est autorisé que pour une période de six mois à l'issue de laquelle un nouveau contrôle doit être effectué. Par ailleurs, il exige l'arrêt immédiat de tout réacteur sur lequel une fuite entre le circuit primaire et le circuit secondaire dépasserait 3 litres par heure, ou augmenterait de 1 l/h en moins de 24 h à partir d'un débit de 1 l/h. 927

Un an plus tard, en septembre 1990, six réacteurs ont subi des contrôles particuliers à mi-cycle. A l'issue de ces contrôles, il semble que le phénomène n'évolue pas de manière rapide sur les réacteurs en fonctionnement depuis plus d'un cycle, c'est pourquoi le SCSIN instruit une demande d'EDF visant à n'effectuer ces contrôles qu'une fois par an, lors des arrêts programmés des réacteurs. 928

Les hypothèses émises à cette date sur l'origine de ces défauts mettent en cause certaines phases de construction ou de mise en service qui laissent penser que cette anomalie serait une «maladie de jeunesse» des 1300.Par contre les réacteurs 900 sont également touchés, en particulier les premiers 900, par une corrosion au dessus de la plaque due au milieu secondaire. La présence de plomb est observée dans les fissures. C'est un motif d'inquiétude sérieux côté EDF car comme l'indique l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire, «il semble aujourd'hui que rien ne permette de garantir que les générateurs de vapeur neufs, tels que les générateurs de vapeur de remplacement, résisteraient à une pollution chimique de ce type». 929 Un bilan dressé en 1990 attribue trois causes aux dégradations : la susceptibilité de l'alliage utilisé à la fissuration sous des contraintes élevées, des erreurs de conception permettant l'accumulation d'impuretés, et la présence, du côté secondaire, de divers corps étrangers. Les deux premières causes apparaissent convenablement traitées, pour les générateurs de vapeur du futur, par le changement de matériau et les modifications de conception. Par contre, la présence de divers corps étrangers est jugée «beaucoup plus préoccupante à long terme.» Si des précautions à la construction ou pendant les périodes de maintenance ne permettent pas d'améliorer la propreté des appareils, le même type de dégradation serait inévitable. Il semble donc indispensable d'agir sur deux fronts : la remise en propreté des appareils existants et un sérieux renforcement des mesures de précaution pour éviter l'introduction des débris et des composés chimiques tels que le plomb qui sont la cause de ces dégradations. 930

Les générateurs de vapeur restent donc une préoccupation permanente, d'autant que deux ans plus tard s'ajoute un nouveau phénomène, le vieillissement prématuré par fatigue. Et là, les contrôles sont incapables de détecter ce phénomène. La rupture par fatigue qui s'est produite sur la centrale japonaise de Mihama-2 vient rappeler que ces phénomènes, certes pas nouveaux mais qui étaient considérés comme secondaires, doivent être reconsidérés.

En 1992, on constate que le taux de bouchage des générateurs de vapeur augmente significativement d'une année à l'autre, tandis que le volume et le coût des contrôles s'accroissent.

Notes
925.

Bulletin sur la sûreté des installations nucléaires, N°54, novembre-décembre 1986, p. 11.

926.

«Anomalie générique sur les générateurs de vapeur des réacteurs de 1 300 MWe, Bulletin SN, N° 71, décembre 1989, pp. 16-17, et «Anomalie générique des générateurs de vapeur de 1300 MWe, le point un an après», Bulletin SN, N°78, mars 1991, p. 18.

927.

«Anomalie générique sur les générateurs de vapeur des réacteurs de 1 300 MWe, Bulletin SN, N° 71, décembre 1989, pp. 16-17

928.

«Anomalie générique des générateurs de vapeur de 1300 MWe, le point un an après», Bulletin SN, N°78, mars 1991, p. 18.

929.

Pierre Tanguy, Sûreté nucléaire 1990, Rapport de l'Inspecteur Général pour la sûreté nucléaire, EDF-Direction Générale, 1990, p. 25.

La fonction d'Inspecteur Général pour la Sûreté Nucléaire a été créée à EDF en 1982. André Gauvenet, ancien responsable des questions de sécurité au CEA a occupé ce poste de 1982 à 1984. Pierre Tanguy, ancien directeur de l'IPSN, lui succède en 1985, jusqu'en 1994.

930.

Ibid., p. 27.