16.1.2.2. Les piquages des pressuriseurs 1300 et l'échec de l'analyse prévisionnelle ou théorique

Après la corrosion sous tension qui avait affecté les générateurs de vapeur au début des années 80, les défauts rencontrés sur les pressuriseurs auraient pu constituer un second signe annonciateur. En effet, en avril et mai 1989, lors de l'épreuve hydraulique du circuit primaire de Cattenom 2 et Nogent 1 du palier 1300, des fuites d'eau primaire avaient été détectées sur deux piquages d'instrumentation des pressuriseurs. 942 L'examen allait montrer la présence de fissures sur les piquages en inconel. Or sur les tranches 1300, l'acier inoxydable utilisé sur les tranches précédentes avait été remplacé par l'inconel. La mise en cause du phénomène de corrosion sous tension de l'inconel allait à nouveau révéler un problème à caractère générique. La sûreté était directement concernée car on pouvait craindre le risque d'éjection du piquage affaibli par les fissurations. Le Service de la Production Thermique d'EDF, avec Framatome, engageait alors un programme d'études, et obtenait l'accord du SCSIN et de ses appuis techniques sur une stratégie combinant contrôles, réparations et mesures compensatrices, en particulier par l'installation de dispositifs anti-éjection.

Après les générateurs de vapeur, cette nouvelle mise en cause de l'inconel sur les pressuriseurs ne pouvait manquer de soulever un certain nombre de questions, exprimées par l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire d'EDF lui-même, dans son rapport annuel 1989. En premier lieu la question est posée de savoir «pourquoi une décision de passage de l'acier inox à l'inconel prise en 1977 n'a jamais été remise en cause par EDF lorsque les problèmes de corrosion sous contrainte de l'inconel ont été connus.» 943 Dans son rapport 1990, l'inspecteur général apporte les réponses aux questions qu'il soulevait l'année précédente quant aux circonstances ayant conduit à la décision de changer le matériau pour le palier 1300. En fait, le choix de ce matériau en lieu et place de l'acier inoxydable utilisé par Westinghouse avait été justifié par le souci de minimiser les contraintes d'origine thermique, l'Alliage 600 ayant un coefficient de dilatation thermique plus voisin de celui de l'acier du pressuriseur que l'acier inoxydable austénitique. En 1977, les difficultés sur les tubes de générateurs de vapeur n'étaient pas encore apparues en France. La deuxième grande raison invoquée est «l'absence de retour d'expérience des fissurations des tubes en Alliage 600 des générateurs de vapeur sur l'appréciation du risque d'autres composants en alliage identique dans des conditions apparemment plus sévères quant à la température.» 944 Ce constat amène Pierre Tanguy à conclure que «l'organisation du retour d'expérience mérite d'être repensée dans son ensemble pour s'affranchir de nouvelles difficultés analogues.» En 1990, faisant preuve d'un optimisme a priori rassurant, Tanguy peut écrire qu'en ce qui concerne le point précis de la fissuration de l'Alliage 600, «une étude effectuée par Framatome a permis d'identifier les composants susceptibles de donner lieu à fissuration compte tenu des enseignements tirés de l'expérience en service et des essais de laboratoires.» 945 Après avoir mentionné la participation d'EDF et Framatome à un groupe de travail international sur cette question, il conclue que «si les suites des incidents de 1989 sur les piquages d'instrumentation des pressuriseurs des tranches 1300 apparaissent aujourd'hui bien maîtrisées, il semble nécessaire de revoir l'organisation du retour d'expérience vers le constructeur surtout si des innovations techniques ont été appliquées.» 946

L'avertissement semble prémonitoire puisque dès l'année suivante, c'est au tour de l'inconel 600 des pénétrateurs des couvercles de cuve de présenter des fissures.

Notes
942.

«Le pressuriseur est un réservoir d'une capacité d'environ 60 m3 pour les centrales 1300 MWe. Il constitue le dispositif de régulation et de limitation de la pression pour l'ensemble du circuit primaire principal. Il comporte, en particulier, 11 piquages d'instrumentation (…) permettant d'effectuer en fonctionnement des mesures de température, de niveau ou de pression. Ces piquages sont dudgeonnés, c'est-à-dire expansés radialement afin d'augmenter leur diamètre pour les immobiliser dans leur support. Puis ils sont soudés sur un renforcement du revêtement interne en acier inoxydable du pressuriseur.» (SCSIN, Rapport d'Activité 1989, p. 72)

943.

Pierre Tanguy, Sûreté Nucléaire 1989, Rapport de l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire, EDF-Direction Générale, 15 janvier 1990, p. 28.

944.

Pierre Tanguy, Sûreté Nucléaire 1990, Rapport de l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire, EDF-Direction Générale, 18 janvier 1991, p. 43.

945.

Ibid.

946.

Ibid.