16.1.2.4. L'incidence sûreté des fissures sur les couvercles

Dès la découverte de l'anomalie, un programme d'action est lancé par EDF suivant plusieurs axes : la multiplication des contrôles et le développement de nouveaux moyens de détection plus précis, la réparation des adaptateurs et le développement des moyens de réparation, et des études pour améliorer les connaissances sur le phénomène de fissuration.

Si les causes exactes du phénomène ne sont pas cernées avec précision, le premier type de fissures détectées - il s'agit de fissures longitudinales - ne suscite pas trop d'inquiétude. Au cas où une fissure de ce type deviendrait traversante, elle pourrait occasionner une fuite dans le circuit primaire. Or une fuite correspond à une brèche du circuit primaire qui est un scénario prévu dans les analyses de sûreté, et les parades existent pour y faire face. De l'eau radioactive se déverserait à l'intérieur de l'enceinte de confinement du réacteur et l'application des procédures accidentelles devrait permettre de ramener le réacteur à l'arrêt dans un état sûr.

Mais pour la sûreté, la question importante est la possibilité d'éjection d'une grappe de barres en cas de fissuration circonférentielle. Pour EDF comme pour les autorités, le phénomène d'éjection n'est pas à craindre au vu des premiers examens, mais il faut cependant se poser la question d'une évolution ultérieure plus brutale. En effet, les fissures décelées sont de type longitudinal et peuvent être détectées avant rupture, mais s'il existait des fissures circonférentielles, celles-ci pourraient conduire à une rupture éjectant une grappe de commande. Ce serait une situation accidentelle, néanmoins jugée hypothétique.

Du côté des opposants, ce n'est pas sur le caractère hypothétique d'un tel scénario qu'on insiste mais sur les conséquences qu'aurait l'éjection d'une grappe de barres : primo, une brèche dans le circuit primaire; secondo la formation d'un missile pouvant traverser le béton de l'enceinte, mais en principe l'enceinte a été calculée pour résister; tertio, une insertion brutale de réactivité pouvant conduire à l'emballement de la réaction de fission, et enfin la déformation des structures mécaniques du cœur pouvant entraîner un blocage des autres grappes de contrôle et d'arrêt. 951

Inquiète malgré tout, la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (le Service Central a été transformé en Direction en mai 1991 952 ) demande l'avis de ses comités d'experts, la Section Permanente Nucléaire puis le Groupe Permanent Réacteurs 953 , qui se réunissent respectivement en février et mars 1993. L'éjection d'une unique grappe de commande ne pose pas de problème car c'est un scénario étudié dans le rapport de sûreté et qui peut être géré. L'inquiétude réside dans le fait de savoir si l'éjection d'une grappe ne pourrait pas entraîner des dommages sur les grappes voisines et sur combien, auquel cas les conséquences sont plus difficiles à évaluer.

Les comités d'experts sont amenés à se prononcer sur la stratégie de gestion de l'anomalie proposée par EDF. Les arguments de l'exploitant avancés dans des «études d'innocuité» sont discutés par l'un et l'autre groupe d'experts : les débats tournent autour de l'état de la fissuration initiale, le milieu chimique, les cinétiques d'amorçage et de propagation des fissures, l'évaluation des contraintes. Dans un premier temps, l'effort porté par EDF concerne principalement les moyens de détection par contrôles non destructifs, dispositifs de détection de fuite. Ces moyens de contrôle constituent la principale défense pour éviter une rupture. Mais par anticipation, outre l'amélioration des moyens de détection, EDF installe un dispositif interdisant l'éjection des grappes en cas de rupture sur certaines tranches.

La deuxième défense possible est de réparer les manchons fissurés : les discussions très pointues entre les experts portent alors sur les critères de réparation et de maintien en service. La question posée est de savoir jusqu'à quelle profondeur de fissuration un manchon abîmé peut être laissé en service et pendant combien de cycles, avant d'être réparé. Des procédés de réparation sont mis au point qui visent à éliminer les défauts traversants ou potentiellement traversants par exemple par alésage puis par soudure pour compenser les pertes de matière. Une réparation plus définitive consiste à remplacer les adaptateurs fissurés ou à changer le couvercle. L'enjeu pour EDF est d'obtenir que les réparations puissent avoir lieu lors des arrêts programmés, et si possible de façon étalée dans le temps.

Fin 1992, un problème nouveau vient compliquer les choses. Des analyses montrent une amorce de fissuration circonférentielle sur la traversée qui avait fui à Bugey 3 : une fissure longitudinale traversante a laissé s'écouler de l'eau primaire qui a provoqué une fissuration circonférentielle en peau externe du manchon du couvercle. Cela remet en cause le jugement concernant l'innocuité des fissures longitudinales et des fuites. Ceci conduit EDF à mettre au point des méthodes de contrôle capables de détecter les traversées fissurées avant qu'elles ne fuient, ce qui pose de grandes difficultés du fait de la géométrie du lieu et de la radioactivité forte qui y règne.

Notes
951.

d'après GSIEN, «Bugey Fessenheim. Anomalies sur les couvercles de cuve», La Gazette Nucléaire, 113/114, mars 1992, p. 15.

952.

Michel Lavérie est le chef de la DSIN. Polytechnicien, ingénieur du Corps des Mines, il a succédé en juin 1986 à Christian de Torquat à la tête du SCSIN.

953.

Rappelons que les réunions du Groupe Permanent sont préparées par un rapport du Département d'Evaluation de Sûreté de l'IPSN qui suit le dossier en continu.