16.1.2.5. La gestion de l'anomalie

Le caractère générique de l'anomalie - tous les couvercles peuvent être affectés - pose le problème de la gestion des réparations. Face à un problème d'une telle ampleur, deux stratégies s'offrent à EDF, soit contrôler régulièrement les traversées et réparer ou remplacer celles qui seraient fissurées, soit remplacer préventivement l'ensemble des traversées d'un couvercle dès l'apparition des premières fissures. 954

La première stratégie, appliquée dès le début, s'avère fort coûteuse en terme de disponibilité mais également en termes de dosimétrie car elle conduit à d'importantes expositions aux radiations. Les expositions seront ensuite limitées par l'emploi de robots de contrôle et une meilleure organisation de la radioprotection (la dose collective sera réduite d'un facteur 10 alors que le nombre de contrôles sera multiplié par 5 en 1993 par rapport à 1992).

Le coût élevé des contrôles à répétition et des réparations à l'unité, comme le placement aléatoire de ces dernières lors des arrêts pour rechargement sur toute la vie future des tranches conduisent EDF à opter pour la deuxième solution. C'est pourquoi en 1993, EDF envisage de remplacer à terme l'ensemble des traversées de chaque couvercle par des éléments neufs en un nouvel alliage, l'inconel 690, dès que leurs fissurations atteignent un niveau qui ne permet pas d'envisager leur maintien en l'état pendant plusieurs cycles. Cette solution présente des avantages sur le plan technique et pour la sûreté, mais également d'un point de vue économique. Des réparations individuelles de traversées seront utilisées pour étaler le renouvellement. Aux six couvercles déjà commandés en 1992 pour le palier 900, sept autres sont commandés en 1993 pour les 900 de deuxième génération et qui seront livrables en 1995. Un premier couvercle est commandé pour le palier 1300, également livrable en 1995. On estime alors que la réhabilitation complète du parc durera une douzaine d'années. Le bilan des examens confirme le caractère générique de la fissuration puisque 22 des 33 couvercles contrôlés en 1993 sont affectés, 3% des traversées inspectées sont fissurées, tandis que la vitesse d'évolution du phénomène est de 3 à 4 mm par cycle de fonctionnement. Du point du vue sûreté, on estime que l'affaire ne pose pas de problème particulier du moment que l'on respecte les critères de maintien en service et de réparation des couvercles.

En 1994, une lueur d'espoir apparaît cependant : après le remplacement d'un premier couvercle en 1993, de six autres couvercles en 1994, et alors qu'il est prévu de poursuivre au même rythme, il semble que la cinétique de fissuration soit moins rapide que prévue, ce qui pourrait permettre de revoir ce programme à la baisse si cet effet se confirmait. L'espoir sera déçu. Tous les couvercles seront finalement changés. Le coût de l'affaire des couvercles est évalué selon les auteurs à environ 5 milliards de francs, hors indisponibilité des tranches 955 , ou encore 50 millions par tranche environ, soit 3 à 4 milliards. 956

L'affaire des couvercles de cuve aura un certain retentissement : elle fait même l'objet d'une question écrite à l'Assemblée Nationale, déposée en janvier 1992. S'appuyant sur le rapport 1991 de l'inspecteur général de la sûreté d'EDF, le député Jean-Pierre Brard, estime que la découverte de ces fissures au terme d'une dizaine d'années de fonctionnement, alors que le phénomène n'était attendu qu'après trente ans d'utilisation, «met en relief le caractère aléatoire des prévisions et des probabilités dans le domaine si sensible du nucléaire civil.» Le député souhaite par son intervention attirer l'attention du ministre «sur la situation préoccupante de vieillissement prématuré de certaines installations nucléaires de production d'énergie.» 957

Pour la DSIN, qui expose sa position lors d'une question d'actualité du CSSIN d'octobre 1991, comme pour le cas de la corrosion des générateurs de vapeur, ce n'est pas le défaut particulier qui est source d'inquiétude, car on estime qu'il sera réparé comme il faut. Le problème de sûreté ne sort pas de l'ordinaire. Il n'a pas fait courir de risques particuliers c'est pourquoi l'événement a été classé au niveau 2 de l'échelle de gravité. Le problème immédiat est le suivi du phénomène et des éventuelles réparations pour garantir qu'il ne pourra pas y avoir des fissurations circonférentielles susceptibles de conduire à une rupture et à un accident sérieux dans lequel il y aurait une brèche dans le circuit primaire, avec mouvement d'une grappe de contrôle. Mais au-delà, le problème réside plutôt dans la façon de gérer correctement le suivi de situations analogues qui pourraient se développer un jour sur l'ensemble du parc.

En janvier 1992, en réunion du CSSIN, la DSIN estime que le dossier des couvercles de cuve a progressé : le problème a été détecté suffisamment tôt dans son évolution, c'est-à-dire avant que les défauts ne posent des problèmes de sûreté généralisés.

Notes
954.

Cf. Jean-Pierre Mercier, «L'affaire des couvercles de cuve», in : Dominique Laroque, op. cit., pp. 43-45.

955.

D'après Philippe Berge, «L'affaire de «l'Inconel»», in : Laroque, op. cit., pp. 48-51.

956.

d'après Mercier, op. cit., p. 43.

957.

cité par La Gazette Nucléaire, N°113/114, mars 1992, p. 15.