16.1.3.2. Fissures sur les tuyauteries de vapeur; Fessenheim 1

En 1990, un certain nombre de défauts, en particulier des fissures, sont découverts sur les soudures des tuyauteries de vapeur des centrales du Blayais, puis de Tricastin et Bugey : ces fissures peuvent s'étendre sur quelques millimètres de profondeur et quelques dizaines de centimètres de longueur. Les tuyauteries affectées assurent la circulation de la vapeur entre les générateurs de vapeur et la turbine. Les analyses montreront qu'il s'agit principalement de fissuration à froid, remontant à la fabrication, probablement due à un chauffage insuffisant des tuyauteries pendant le soudage. C'est l'amélioration des moyens et des procédures de contrôle qui a permis de révéler la présence de ces défauts qui n'avaient pas été détectés par les contrôles de fin de fabrication de l'époque. A la suite de ces découvertes, le service central demande à EDF de renforcer ses programmes de contrôles pour les années suivantes (faire un «point zéro» de l'état des installations), d'analyser la sûreté des réacteurs affectés. Le SCSIN déclare qu'il n'autorisera la redivergence qu'après démonstration de la bonne tenue des tuyauteries pour le cycle suivant, et il demande à EDF de mettre au point un programme de réparations.

En septembre 1991, c'est sur le réacteur de Fessenheim 1 (CP0), alors à l'arrêt, qu'est mis en évidence un défaut métallurgique important dans l'une des tuyauteries de vapeur sous la forme d'une fissure d'environ 11 cm de long et 3 cm d'épaisseur. La portion de tuyauterie est remplacée et analysée. L'origine de ce défaut ne serait pas un vieillissement par fatigue ou par corrosion selon les experts 964 qui émettent l'hypothèse d'une sollicitation unique et importante lors d'une opération de maintenance qui aurait pu agrandir des défauts préalablement existants. Cette fissuration est attribuée à un arrachement lamellaire 965 , qui se serait développé à partir de nombreuses inclusions présentes dans le métal de base et laminées lors de la fabrication. Les autres réacteurs du palier (Fessenheim 2 et Bugey 2 à 5) vont également révéler la présence de nombreuses inclusions, parfois accompagnées d'amorces d'arrachement lamellaire. Le nombre de défauts présents rendant les études de sûreté et les contrôles difficiles, EDF s'engage à remplacer toutes les portions de tuyauteries concernées sur les six réacteurs du palier CP0.

Un précédent au défaut découvert en septembre 1991 avait été détecté sur le réacteur N°1 de Fessenheim. La découverte par ultrasons en 1985 d'un défaut métallurgique sur une soudure d'une tuyauterie principale de vapeur reliant le générateur de vapeur à la turbine avait amené EDF à déposer la pièce lors de l'arrêt de tranche de 1986 et à la remplacer. Les défauts rencontrés avaient été examinés par le Groupe Permanent Réacteurs le 26 septembre 1985. L'hypothèse de l'innocuité des défauts ne pouvant être démontrée, les experts de l'IPSN avaient été amenés à l'époque à envisager les conséquences d'une rupture de tuyauterie, et les divers rejets envisageables suivant divers scénarios accidentels plausibles.

Le palier 1300 quant à lui est concerné à son tour lorsque pendant l'été 1992, au cours d'un arrêt annuel, des défauts sont mis en évidence sur l'une des tuyauteries principales de vapeur du réacteur n°1 de Saint-Alban. Plus de 200 défauts sont recensés, non conformes aux critères de fabrication. L'expertise des défauts montre qu'ils sont de type «inclusion» ou «collage», tandis qu'une fissure, attribuée à une fissuration à chaud pendant la fabrication, a aussi été détectée. Au final, comme le conclura le Bulletin du Service central, «chacun des trois paliers du parc de réacteurs à eau sous pression a présenté des défauts dans les soudures, des lignes de soupape, sur les tuyauteries de vapeur ou à leur proximité. Chaque palier présente des défauts particuliers : très nombreuses inclusions et arrachement lamellaire sur le CP0, attribuables à la qualité insuffisante des matériaux et au mode de fabrication (laminages); fissuration à froid remontant à la fabrication sur le palier CPY, attribuable à une maîtrise insuffisante des conditions de soudage; très nombreux collages et inclusions sur le réacteur de Saint-Alban (1300 MWe), remontant à la fabrication.» 966

Les conséquences du point de vue de la sûreté ne sont pas évoquées dans les rapports des organismes de contrôle officiels mentionnant le phénomène, que ce soit le Rapport d'activité de la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires, ou de l'IPSN. C'est dans un communiqué de l'AFP consacré à la découverte de la fissure de Fessenheim que l'on entrevoit l'enjeu en terme de sûreté : «Une rupture à ce niveau [situé à l'extérieur du bâtiment réacteur, après le générateur de vapeur, sur la ligne de vapeur principale vers la turbine et juste avant une vanne de contrôle] aurait pu provoquer, disent les spécialistes de la DSIN, non pas une fuite radioactive, le circuit secondaire n'en comportant pas, mais une brusque dépressurisation du générateur de vapeur susceptible de passer de 80 bars à un bar en quelques instants. Cette dépressurisation aurait pu avoir, par contre-coup, des conséquences au niveau du circuit primaire dans l'enceinte du bâtiment réacteur.» 967 Commentant le communiqué précédent, Bella Belbéoch du Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Electronucléaire donne une description d'un scénario accidentel dans un dossier intitulé «La transparence ? Le contrôle qualité et la défense en profondeur ? Des mythes…» de La Gazette Nucléaire : «En cas de rupture de ce piquage du circuit secondaire, la pression chute brutalement dans la partie secondaire du générateur de vapeur. Les contrecoups dans le circuit primaire peuvent être très graves et difficiles à gérer car l'eau du circuit primaire n'est plus refroidie. D'autre part, l'intégrité du générateur de vapeur peut être fortement atteinte. En effet : Les tubes de générateur sont fragiles. (…)» L'auteur évoque ensuite les différentes fissures affectant les tubes de générateur de vapeur, dont certaines pourraient se développer rapidement en cas de dépressurisation brutale et conduire éventuellement à des ruptures en série. Or, précise le rédacteur de La Gazette, «la rupture simultanée de plusieurs tubes n'a pas été prise en compte par les Autorités de Sûreté dans les scénarios d'accident pour le dimensionnement des installations. La possibilité d'un tel accident devrait donc conduire à une réévaluation des dispositions de sûreté. Enfin, la rupture des tubes de GV suite à une rupture du piquage, mettrait le circuit primaire radioactif en communication avec l'extérieur de l'enceinte de confinement. Dans ce cas, la troisième barrière n'a aucune efficacité.» 968

Le Bulletin SN consacre en décembre 1992 un dossier 969 au thème des lignes de vapeur principales. Les conséquences d'une rupture dans la partie de circuit se trouvant entre le mur de l'enceinte de confinement et la vanne d'arrêt située à l'extérieur du bâtiment réacteur y sont évoquées : une telle rupture entraînerait un brutal appel de vapeur, et donc une augmentation de la puissance demandée au cœur du réacteur. La vanne d'arrêt ne pourrait stopper ce débit de vapeur, car il s'échapperait à son amont. L'arrêt d'urgence du réacteur ainsi que le déclenchement automatique de l'injection de sécurité permettraient de ramener le réacteur dans son état sûr. Il est précisé que cette partie du circuit doit faire l'objet d'une vigilance particulière car elle est une partie de la troisième barrière de confinement.

Le dossier des défauts affectant les lignes de vapeur principales amène l'autorité de sûreté à exprimer publiquement des reproches extrêmement sévères à l'égard d'EDF dans son Rapport d'Activité 1991 : «Lors de la découverte de défauts sur les lignes de vapeur du Blayais en 1990, l'exploitant s'était engagé, à la demande de la direction de la sûreté des installations nucléaires, à développer une méthode de réparation et à la mettre en œuvre dès 1990. Malgré un travail important des équipes techniques chargées de cette mise au point et un investissement notable de l'autorité de sûreté dans le contrôle de la bonne qualification du procédé, EDF n'a pas effectué les réparations prévues en 1991. Ce retard est dû à une coordination insuffisante des services centraux d'EDF, tant en ce qui concerne les approvisionnements, que pour la gestion des équipes d'intervention et la programmation des arrêts des réacteurs. Un problème analogue s'est présenté concernant des remplacements de matériel prévus à Bugey. La DSIN constate donc l'insuffisance de l'engagement technique des services centraux d'EDF sur ce sujet en 1991, le manque de diligence dans le respect des engagements pris, et la référence trop fréquente à des considérations économiques en regard des impératifs de sûreté. (...) Si les orientations proposées par EDF en fin d'année paraissent aller dans la bonne voie, et si le dialogue technique a repris un tour normal, la DSIN n'en mènera pas moins une surveillance extrêmement rigoureuse des actions menées par l'exploitant en 1992 dans le domaine des lignes de vapeur principales.» 970

Notes
964.

Les membres du GSIEN, pour pouvoir procéder à une contre-expertise, demandent de disposer de l'expertise réalisée à l'époque et le retour d'expérience correspondant. Ils réclameront en vain les dossiers complets des expertises menées sur ces tuyauteries. Le Service Central invoquera des raisons de propriété industrielle lui interdisant de transmettre les rapports d'expertises rédigés par l'exploitant, seul et unique responsable de leur diffusion. EDF refuse également, n'ayant d'obligation que vis-à-vis de l'autorité. Ces «contre experts» qui ont été mandatés par la commission de surveillance du conseil général du Haut-Rhin pour participer à la mission de contre-expertise du réacteur lors de la décennale de 1989, notent par ailleurs que les défauts de 1986 ne leur avait pas été signalés à l'époque.

965.

L'arrachement lamellaire est un mode particulier de rupture des aciers dans lequel le cheminement de la cassure est constitué de plages approximativement parallèles au plan de laminage. C'est à partir de 1961 que des articles techniques se sont attachés à décrire le phénomène d'arrachement lamellaire, du fait de quelques incidents retentissants provoqués par les épaisseurs de soudure de plus en plus importantes dans des nuances de plus en plus résistantes, et par l'utilisation de types d'assemblages particulièrement propices à l'obtention du phénomène. Les arrachements lamellaires se produisent le plus souvent en cours de soudage, mais des cas sont apparus en service sous l'influence des contraintes internes et de forces extérieures. Le phénomène d'arrachement lamellaire dépend des propriétés mécaniques, liées à l'état inclusionnaire des aciers, mais aussi aux paramètres de soudage de certains assemblages.

966.

Bulletin de la sûreté des installations nucléaires, N°89, décembre 1992, p. 19.

967.

Communiqué de l'AFP du 25 septembre 1991, cité par La Gazette Nucléaire, N°113/114, mars 1992, p. 6.

968.

La Gazette Nucléaire, N°113/114, mars 1992, p. 6.

969.

Bulletin de la sûreté des installations nucléaires, N°89, décembre 1992, pp. 18-19.

970.

Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires, Rapport d'Activité 1991, p. 77.