Le 16 août 1989, une anomalie de fonctionnement des trois soupapes de sécurité du circuit primaire est mise en évidence sur la tranche n°1 de la centrale de Gravelines. Ces soupapes sont destinées à protéger le circuit primaire contre les surpressions incidentelles ou accidentelles. Ce sont des soupapes pilotées, c'est-à-dire que leur ouverture est commandée par la pression transmise par un circuit auxiliaire, le pilote. Réglementairement, ces soupapes doivent être testées chaque année, et c'est lors d'une de ces vérifications que l'anomalie a été découverte. La vérification du bon tarage des soupapes s'effectue à l'arrêt de la tranche, en pressurisant le pilote avec un banc d'essai. Pour cela, on isole la partie amont de la soupape en remplaçant une vis trouée par une vis pleine. Or lors de la vérification faite à Gravelines pendant l'arrêt annuel précédent, en juin 1988, les vis pleines ont été laissées en place sur les trois soupapes de la tranche. Pendant 15 mois, le réacteur a donc fonctionné dans une situation de sûreté dégradée, la protection du circuit primaire étant insuffisante puisque les soupapes ne se seraient ouvertes automatiquement en cas de besoin qu'avec retard et à des pressions plus élevées que la normale.
Dès le lendemain de la découverte de cet incident, EDF procède au contrôle systématique des circuits de protection du circuit primaire de l'ensemble des réacteurs, contrôle qui ne décèlera aucune autre anomalie. Dans les jours qui suivent, le chef du Service de la Production Thermique d'EDF lance une enquête pour tirer les leçons de cet incident. «Cette enquête (…), conclue son responsable à EDF, met en lumière un grand nombre d'anomalies à caractère générique, c'est-à-dire susceptibles de se reproduire tant à Gravelines que dans les autres CNPE. Qu'il s'agisse de l'absence de procédure, d'une formation insuffisante des intervenants, de l'absence de contrôle, … toutes ces anomalies avaient en facteur commun l'insuffisance de culture de sûreté des agents de maintenance.» 976 Alors qu'il évoque très clairement des problèmes à caractère organisationnel comme origine des incidents, c'est sur la «culture de sûreté» défaillante des agents qu'il rejette en fin de compte la responsabilité. Cette façon d'analyser les causes explique la réponse «qualitative» qui sera apportée dans un premier temps par le SPT privilégiant une meilleure prise de conscience de la sûreté et non pas une réorganisation structurelle. Cette façon de voir sera vivement critiquée par les observateurs. Après avoir mené sa propre inspection sur place le 22 août, le SCSIN conclue pour sa part que «l'anomalie était due à plusieurs insuffisances dans l'organisation de la qualité. Il s'agit donc essentiellement de problèmes d'organisation et non d'une erreur humaine.» 977
Etant donné sa gravité potentielle, le SCSIN classe cet incident au niveau 3 de l'échelle de gravité. Il s'agit là du premier «niveau 3» depuis l'instauration de l'échelle de gravité en avril 1988, le deuxième depuis le début du fonctionnement du parc nucléaire français, après l'incident de Bugey 5 en 1984. Un tel classement a un effet désastreux auprès de l'opinion et des médias, mais ce n'est pas la seule sanction de l'incident. Le rapport d'activité du SCSIN pour l'année 1989 tient à souligner les suites judiciaires de l'affaire : «Par ailleurs, la DRIR Nord-Pas-de-Calais a dressé un procès verbal à l'exploitant de Gravelines en application de l'article 43 du 26 février 1974 relatif à la réglementation des appareils à pression aux chaudières nucléaires à eau. Cet article demande en effet que l'utilisateur s'assure par une surveillance constante du bon fonctionnement des soupapes. Or celles-ci se trouvaient dans un état dégradé depuis août 1988. Il s'agit d'une proposition de sanction pénale qui dans l'esprit est destinée à l'exploitant dans son ensemble (même si elle implique personnellement le chef du centre de production nucléaire).» 978
L'incident de Gravelines ne pouvait manquer de rappeler celui survenu un mois plus tôt, en juillet 1989 sur la tranche N°1 de la centrale de Dampierre. Au cours d'une intervention dans le bâtiment réacteur, on constatait la présence anormale de bouchons sur un circuit de sûreté servant à assurer un brassage de l'air de l'enceinte de confinement et le piégeage de l'hydrogène pour éviter en particulier les risques d'explosion en cas d'accident. Là encore, les deux bouchons détectés avaient été installés pour procéder au contrôle de l'étanchéité de ce circuit lors de l'arrêt annuel, et ils auraient dû être retirés avant le redémarrage en décembre 1988. Le réacteur avait ainsi fonctionné pendant plus de six mois avec un circuit de sauvegarde indisponible, même si ce circuit n'est nécessaire qu'en cas d'accident de faible probabilité. Cet événement avait été classé au niveau 2 par le SCSIN.
Jean-Jacques Mira, «L'incident des soupapes SEBIM», in : Laroque, op. cit., p. 124.
Jean-Jacques Mira, adjoint du chef du SPT Lucien Berton, était chargé de cette enquête.
SCSIN, Rapport d'activité 1989, p. 78.
Ibid., p. 65.