16.2.2. Le jugement de l'autorité de sûreté

Les incidents de l'été 1989 ne font que donner plus de poids à l'un des dossiers sur lesquels l'autorité de sûreté avait décidé de mettre l'accent. En effet, lors de la présentation publique de son rapport 1987 lors de la réunion du Conseil supérieur du 27 octobre 1987, le SCSIN avait énuméré quelques grands dossiers qui devaient selon lui passer au premier plan dans un avenir proche. Parmi ces dossiers, le SCSIN citait :

En effet, lors du débat à cette séance du conseil, on avait évoqué un incident qui s'était produit le 20 octobre 1986 à Blayais 3 et qui aurait dû servir d'exemple. Au cours de cet incident, des anomalies rendant indisponibles la fonction de sauvegarde d'injection de sécurité étaient signalées mais pas repérées par l'équipe de quart lors du redémarrage; elles le furent par l'Ingénieur Sûreté-Radioprotection. Déjà, le responsable d'EDF se disait préoccupé par les incidents qui se produisaient au redémarrage. Il estimait qu'une lacune avait été comblée en 1986 par la mise en place de spécifications techniques applicables pendant les arrêts de tranche, qui permettaient de s'assurer que les matériels qui jouent un rôle dans la sûreté sont effectivement disponibles et en état de fonctionnement. Un plan d'action sur la maintenance avait d'ailleurs été lancé en 1988 par EDF, illustrant la volonté de l'exploitant d'améliorer la situation. Mais la tâche n'est pas sans présenter des difficultés car la maintenance comporte des actions nombreuses et complexes, qui plus est, l'essentiel des opérations de maintenance s'effectue au cours des périodes d'arrêt de tranche, dont EDF essaie de diminuer la durée : chaque jour d'arrêt d'une tranche représente un enjeu financier considérable. Les événements de Gravelines et Dampierre allaient mettre en évidence la nécessité de passer à la vitesse supérieure. Car après ces deux incidents de l'été, d'autres défaillances de maintenance allaient être mises en évidence, soit par l'exploitant lui-même, soit par les inspecteurs des INB. 979

Les opérations de maintenance peuvent susciter une inquiétude légitime, car, mal effectuées, elles peuvent introduire un risque de mode commun de défaillance : une intervention simultanée sur des systèmes de sécurité redondants peut conduire à une indisponibilité de tous les matériels de sûreté destinés à assurer une même fonction de sûreté, court-circuitant ainsi les défenses prévues à la conception. Or, comme le précise le rapport annuel du Service central, «la sûreté du réacteur repose sur la notion de défaillance unique : après une première défaillance à l'origine d'un incident, la conception du réacteur ne prend en compte qu'une seule défaillance supplémentaire des systèmes de sûreté. Ainsi, la conception du réacteur ne le protège pas intégralement contre les erreurs multiples de maintenance.» 980 Le SCSIN poursuit par une comparaison frappante qui sonne comme un rappel à l'ordre : «L'accident de Tchernobyl, comme celui de TMI, ont montré qu'un accident grave résultait généralement d'une série d'erreurs a priori sans conséquence, mais qui, cumulées, mettaient en défaut les protections du réacteur.» 981

C'est pourquoi le SCSIN juge que ces défaillances dans les opérations de maintenance sont «inacceptables». «Même si ces événements n'ont eu aucune conséquence ni sur l'environnement ni sur la population, ils représentent en effet, si les causes se perpétuent, une menace potentielle pour la sûreté des installations. Celle-ci ne peut être écartée que par certaines remises en cause au sein du service de la production thermique. A cet effet, le ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire et le secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé de l'environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs ont demandé au directeur général d'EDF de prendre des mesures afin d'éviter le renouvellement de ces incidents.» 982

Les critiques du SCSIN sont effectivement reprises par les ministres de tutelle. Par lettre du 19 septembre 1989, les ministres demandent à EDF d'engager une analyse critique de l'ensemble de l'organisation et des moyens mis en œuvre pour assurer la qualité des opérations de maintenance. Pour le SCSIN, le traitement en profondeur passe par l'amélioration de la définition des opérations de maintenance dont les plus importantes doivent être définies au niveau central et appliquées ensuite à l'ensemble du parc. Sont également préconisés le renforcement de la préparation et du suivi des opérations confiées à des prestataires lors des arrêts de tranche, l'amélioration du retour d'expérience qui soit rendu plus rapide et exhaustif, et le renforcement du poids des structures destinées à assurer la sûreté à l'intérieur des centrales. Le SCSIN ajoute une exigence de moyens : «De plus, et même si une telle décision relève clairement de la responsabilité d'EDF, la mise en œuvre de ces différentes orientations nous paraît devoir s'accompagner d'une augmentation (éventuellement par des redéploiements internes) des moyens affectés aux tâches précitées.» 983 Pour la période transitoire qui précède la réalisation de ces actions, le SCSIN demande que lui soient proposées des mesures à court terme (dites mesures compensatoires) qui soient applicables dès le 1er janvier 1990.

Notes
979.

En septembre 1989, c'est la découverte à Tricastin 1, lors d'un essai, de l'indisponibilité du circuit de décompression de l'enceinte à travers des filtres à sable. L'orifice d'un diaphragme n'avait pas été percé à travers le fonds plein qui avait permis l'essai du circuit en pression.

980.

SCSIN, Rapport d'activité 1989, p. 65.

981.

Ibid.

982.

Ibid.

983.

Ibid., p. 66.