16.3.2. Anomalies de réactivité sur Phénix de 1989 et 1990

Le 6 puis le 24 août, et à nouveau le 14 septembre, des arrêts automatiques se produisent en effet sur le réacteur Phénix à la suite d'une baisse anormale de réactivité dans le cœur.

Le réacteur est arrêté volontairement le 1er octobre par l'exploitant afin d'effectuer des investigations sur les causes de ces arrêts. Après avoir envisagé puis rejeté l'hypothèse de perturbations électromagnétiques des instruments de mesure neutronique du cœur, les recherches s'orientent vers l'hypothèse d'un passage d'argon sur le cœur, phénomène physique pouvant effectivement amener une baisse rapide de réactivité. Les tests effectués semblent montrer la validité de l'hypothèse, des fuites d'argon ayant été observées au niveau de purgeurs du circuit primaire (l'argon, gaz neutre, est utilisé au dessus des surfaces libres de sodium pour empêcher des entrées indésirables d'oxygène). Des purgeurs de conception différente seront installés. Au vu des examens et des améliorations apportées, le chef du SCSIN donne son accord, le 27 décembre 1989, pour le redémarrage de Phénix. Ces incidents seront classés au niveau 2 de l'échelle de gravité.

Mais un nouvel arrêt automatique se produit le 9 septembre 1990, à nouveau provoqué par une baisse anormale de réactivité dans le cœur, conduisant les autorités à «s'interroger sur l'efficacité des dispositions prises précédemment en fonction des hypothèses retenues, voire sur la validité même de ces hypothèses.» 1004 Malgré les travaux d'un comité d'experts mis en place par le CEA, malgré l'analyse par l'exploitant et des recherches en vue d'acquérir une meilleure connaissance du comportement neutronique et hydraulique du réacteur, la cause exacte de ce phénomène de baisse de réactivité restera indéterminée. 1005 Cependant, aucune parmi toutes les hypothèses envisagées par les experts comme susceptibles d'être à l'origine des sauts de réactivité ne conduit à un scénario pouvant entraîner des dommages sur le cœur, tant pour Phénix que pour Superphénix.

Notes
1004.

Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires, Rapport d'activité 1991, p. 96.

1005.

C'est ce que confirme Georges Vendryes, l'un des pères au CEA de la filière neutrons rapides en France, lors de son audition par la commission d'enquête de l'assemblée nationale sur Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides, en sa séance du 26 mai 1998. Alors qu'on évoque la fermeture de Superphénix et le redémarrage de Phénix, Georges Vendryes répond à une question sur les incertitudes évoquées par rapport aux incidents de réactivité de Phénix : «(…) je tiens à dire à quel point je me réjouis que Phénix rentre bientôt en fonctionnement. Je trouve que c'est une décision très sage, mais je rappelle que ce réacteur a connu des incidents de sauts de réactivité en 1989 et en 1990 ; il y en a eu quatre. Ces incidents, malgré des efforts considérables du CEA, n'ont pas encore été expliqués à ce jour. On a fait appel à énormément d'experts, dont des experts étrangers, etc., on ne les a pas expliqués. Je partage l'avis très autorisé de M. Lacoste [successeur de M. Lavérie comme Directeur de la sûreté des installations nucléaires] quand il vous a dit qu'il estimait qu'il ne s'agissait pas véritablement d'un problème de sûreté. Il n'en est pas moins vrai que tout phénomène qui touche à la réactivité du cœur d'un réacteur à neutrons rapides doit être pris avec la plus grande attention, et quand on se trouve devant un phénomène de ce genre qui n'est pas expliqué, c'est une situation insatisfaisante. Depuis des années, - ce n'est pas une préoccupation de circonstance - je ne cesse de recommander au CEA que lorsque Phénix rentrera en service, et j'espère que ce sera le plus vite possible, son fonctionnement soit vraiment orienté afin de rechercher la cause de ce phénomène. Il faut absolument en trouver l'explication. Et on ne pourra trouver l'explication que par un fonctionnement en puissance, qui soit conçu à cet effet à partir d'un certain nombre d'hypothèses, car on a quand même des indices.»

Audition de M. Georges Vendryes, ancien Directeur des applications industrielles nucléaires au CEA, extrait du procès-verbal de la séance du 26 mai 1998, «Rapport d'enquête sur Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides», Tome second, http://www.assemblee-nationale.fr/rap-enq/r1018-2.asp.