18.3.1. L'affirmation d'un pouvoir réel

Un exemple de cette nouvelle attitude du SCSIN est donné par la publication de sa «Charte de sûreté» dans le Bulletin SN N°67 d'avril 1989. Ce petit dépliant synthétique, après avoir décliné sur quelques lignes le fonctionnement du SCSIN en différents grands thèmes, «Notre Mission», «Notre Ambition», «Nos Moyens», se termine par le paragraphe intitulé «Nos principes d'action» que nous reproduisons car c'est là que réside la nouveauté :

‘«Nous assurons notre mission dans le respect de principes fondamentaux :
- Nous ne transigeons pas avec les règles de sûreté, quelles que soient les contraintes économiques, sociales, politiques.
- Nous veillons, de manière permanente, à ce que tous les acteurs concernés orientent leurs efforts dans le sens du renforcement de la sûreté nucléaire.
- Nous ouvrons l'information à tous les publics, en tenant un langage de vérité.» 1050

Le Bulletin sur la sûreté des installations nucléaires N°65, paru en décembre 1988, comportait déjà un dossier sur «Les relations entre autorité de sûreté et exploitants d'installations nucléaires» qui exposait au lecteur la doctrine de fonctionnement du contrôle de la sûreté nucléaire en France. L'exposé de ces principes avait déjà été publié dans les années 70 après la création du Service central, mais en 1988 le SCSIN s'attachait à mieux délimiter les responsabilités de chacun des interlocuteurs, autorité et exploitant. Car le problème est la tendance réciproque à empiéter sur les prérogatives de l'autre qui ravive le débat de savoir si l'autorité de contrôle doit se contenter de parler d'objectifs ou si elle doit aussi s'occuper des moyens, et voir si ces moyens - de la responsabilité d'EDF - sont de nature à remplir les objectifs :

‘«L'expérience française conduit l'autorité de sûreté à porter une attention particulière à la compétence et à l'exercice des responsabilités d'un exploitant nucléaire. Dans ce contexte, la sur-réglementation et le sur-contrôle ne paraissent pas de nature à améliorer la sûreté. Au contraire, les excès d'encadrement réglementaire engendrent le risque d'une «déresponsabilisation» de l'exploitant.
Aux pouvoirs publics de fixer les objectifs de sûreté.
A l'exploitant de définir les modalités pratiques pour les atteindre et de convaincre l'autorité du bien-fondé de ces modalités.
A l'exploitant de mettre correctement en œuvre ces pratiques.
Aux pouvoirs publics de vérifier par sondage la qualité de cette mise en œuvre.
A chacun de ces deux partenaires, chacun dans son rôle et dans l'exercice de sa responsabilité, de rester vigilant.
Ces diverses actions nécessitent un dialogue technique permanent qui n'est pas contradictoire avec l'exercice du contrôle réglementaire rigoureux.» 1051 `’

La suite de l'article développe chacune de ses étapes. On reconnaît ici au mot près les termes employés par Tanguy quant aux aspects néfastes d'une réglementation excessive. Cela montre que tous les acteurs institutionnels français de la prise en charge de la sûreté nucléaire partagent la même conception d'un nécessaire dialogue technique, cette conception élaborée dans les années soixante, puis formalisée au début de la décennie 70. Mais le fait nouveau est que le Service Central affirme son pouvoir : quand le dialogue s'enlise - et l'on pourrait dire, parce que la solution technique est délicate - l'autorité de contrôle tranche. L'idée était déjà présente dans le Bulletin SN de décembre 1988, mais elle est exprimée très clairement dans le rapport d'activité 1989. Dans son préambule, après avoir rappelé la procédure des relations entre pouvoirs publics et exploitant exposée plus haut, le chef du SCSIN poursuit : «Cet enchaînement de responsabilités nécessite un dialogue constructif entre ces deux partenaires. Ce dialogue est un facteur très important pour la sûreté, qui ne peut progresser de façon cohérente que s'il y a compréhension des analyses techniques faites de part et d'autre. On constate avec satisfaction qu'un consensus est atteint sur de nombreux sujets. Mais le consensus ne peut être permanent et universel ; il est bien clair qu'après le dialogue, l'autorité réglementaire s'exerce sans être entravée par une éventuelle absence de consensus avec l'exploitant.» 1052

C'est la nouvelle doctrine, qui sera reprise mot à mot dans différents articles du SCSIN par la suite. 1053

L'identité de l'argumentation est frappante entre l'inspecteur général d'EDF et l'autorité de sûreté sur ce qui doit être une bonne pratique - un dialogue technique constructif - mais également dans ce qui doit être évité - la dérive à l'américaine - qui ne manquerait de se produire en cas d'enlisement du dialogue technique.

Le risque si le dialogue ne s'établit plus est que les exploitants ne présentent pas toutes leurs données mais seulement celles qui vont dans leur sens, qu'ils n'informent pas les autorités de leurs doutes. Si la confiance disparaît, si la suspicion naît, si l'exploitant ne transmet pas toutes les informations dont il dispose, alors il devient nécessaire que le contrôle se renforce et que les inspecteurs des pouvoirs publics résident en permanence aux côtés de l'exploitant pour surveiller chacune de ses actions, et que les Pouvoirs publics disposent des moyens d'étude redondants.

Le chef du service central lui-même avait, lors des débats au Conseil Supérieur du 28 novembre 1990 à propos des problèmes de maintenance, craint la nécessité d'une évolution à l'américaine du contrôle des pouvoirs publics : devant ce qu'il estimait être un manque de contrôle interne d'EDF -EDF ne proposait que des phrases générales et aucun moyen chiffré - il rappelait les principes qui avaient présidé à l'organisation de la sûreté en France, consistant à placer dans les organismes de sûreté des moyens plus modestes que ceux existant à l'étranger, parce que l'hypothèse faite était que les exploitants avaient des structures internes de contrôle fortes, et que les Pouvoirs Publics étaient là non pas pour exercer un contrôle exhaustif mais pour vérifier que l'exploitant travaillait et s'autocontrôlait bien. La crainte était que le constat de l'absence de structures internes fortes au sein d'EDF ne pourrait que nécessiter le passage à un volume de contrôles des Pouvoirs Publics comparable à celui pratiqué aux Etats-Unis, avec des armées d'inspecteurs contrôlant en continu les exploitants. Or cette solution n'était pas jugée satisfaisante par l'autorité de sûreté française qui, pour éviter cette dérive, exigeait fermement que des structures de contrôle fortes se mettent en place à EDF.

Notes
1050.

Bulletin sur la sûreté des installations nucléaires, «La charte de sûreté», Bulletin SN, N°67, avril 1989.

1051.

Bulletin sur la sûreté des installations nucléaires, «Les relations entre autorité de sûreté et exploitants d'installations nucléaires», Bulletin SN, N°65, décembre 1988, p. 1.

1052.

Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires, Rapport d'activité 1989, p. 7.

1053.

Par exemple ce texte de 1991 de Jean Scherrer, alors Directeur adjoint de la Sûreté des installations nucléaires : J. Scherrer, «Sûreté des installations nucléaires : le contrôle des pouvoirs publics», Revue Générale Nucléaire, N°5, Septembre-Octobre 1991, p. 357.