18.5.2. L'opposition de la CGT à la direction d'EDF

Mais la critique devait provenir également des organisations syndicales qui s'adressent à l'administration pour dénoncer les pratiques des exploitants. Après l'opposition de la CFDT dans les années 70, c'est au tour de la puissante fédération CGT, jusque-là muette sur les questions du nucléaire, d'entrer en opposition ouverte à la politique d'EDF à la fin des années 80.

La CGT justifie ce tournant par la dégradation de la sûreté à EDF. En juin 1990, elle organise des «Assises sûreté nucléaire», auxquelles sont conviés les journalistes, et où elle dénonce la démarche de rentabilisation financière du parc dictée par le gouvernement et appliquée par l'exploitant. Cette politique a, entre autres incidences néfastes, conduit à la mise en cause de la sûreté.

Pour la CGT, la dégradation de la sûreté est manifeste, et les incidents de maintenance de l'été 1989 qui ont défrayé la chronique et qui ne sont pas des faits isolés, «ont éclairé une situation préoccupante que l'on retrouve sur chaque site. Les causes de dégradation de la sûreté sont principalement de deux ordres : les défaillances de matériel dues à des problèmes de conception, de fabrication, de montage et d'utilisation anormale, et les conditions d'exploitation et d'entretien des installations.» 1071 Dans le premier cas, le problème réside d'abord, selon la CGT, dans les moyens financiers dégagés ou pas, pour élaborer les solutions techniques et les mettre en œuvre. La CGT se dit préoccupée par la position du SPT qui veut réduire à tout prix le volume des modifications à réaliser sous prétexte qu'elles nécessitent temps et argent. Mais pour la CGT, la cause de ces problèmes matériels réside aussi dans un dimensionnement insuffisant du parc de production.

La deuxième cause de la dégradation de la sûreté, jugée la plus préoccupante, tient au mode d'exploitation et de gestion du parc nucléaire, à la situation faite au personnel de tout niveau, et en particulier le recours systématique à la sous-traitance. La course permanente imposée aux équipes de maintenance, en période d'arrêt de tranche, mais également en période normale, conduit au recours massif à la sous-traitance en cascade, à la dégradation générale des conditions de travail. Au niveau de la conduite des installations, la CGT rappelle «la grande grève de l'automne 1988», qui fut nécessaire pour que la direction accepte d'ouvrir le débat sur les conditions et l'organisation du travail, les effectifs, la formation, les qualifications et leur reconnaissance… La CGT cite un colloque récent sur la santé qui a montré que les conditions actuelles de travail et de vie des exploitants du nucléaire ont des effets psychologiques mais aussi physiologiques sur les salariés, et en particulier sur ceux concernés par les opérations de maintenance au cours des arrêts de tranche. Le dossier de presse ajoute que la dosimétrie moyenne des agents EDF a subi une augmentation de 14,4 % entre 1988 et 1989, passant de 180 mrem/an à 206, tandis que la dosimétrie moyenne des intervenants extérieurs est trois fois supérieure à celle du personnel statutaire EDF.

Pour la CGT, la sûreté doit être au cœur des revendications des salariés. La sûreté est l'intérêt commun entre population et salariés, car «le meilleur garant de la sûreté des populations réside dans la sécurité des salariés. C'est pourquoi elle engage ses membres à faire de la revendication de la sûreté un levier dans les luttes. Toutes ces critiques, la CGT les énonce à la presse, mais également au chef du SCSIN et au député de l'Office Parlementaire qui prépare son rapport.

Nous ne discutons pas les motivations réelles de la CGT, dont les relations avec la direction se sont dégradées. Mais les dénonciations qu'elle émet traduisent un certain climat, qui s'est envenimé, et permet de dresser un tableau de la situation, du point de vue des salariés d'exécution, sur lesquels repose la sûreté au quotidien.

Notes
1071.

FNE-CGT, «Assises sûreté nucléaire», dossier de presse, 9 juin 1990, p. 9.