18.6. Des réformes de structure

18.6.1. Au sein de l'IPSN

Affirmé des l'automne 1989, l'objectif des Pouvoirs Publics de renforcer l'autorité et l'autonomie de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire est repris le 24 juillet 1990 dans un communiqué commun du Ministère de l'Industrie et de l'Aménagement du Territoire et du Secrétariat d'Etat chargé de l'Environnement. L'organisation et le fonctionnement de l'Institut sont profondément modifiés. L'IPSN se voit doté d'un Comité de Direction 1073 , auquel participent des personnalités et des représentants des ministères concernés, qui délibère sur l'organisation générale de l'institut, l'orientation de ses activités et son budget. Un Comité Scientifique 1074 , présidé par le Haut-commissaire et constitué de personnalités françaises et étrangères évalue quant à lui la politique de recherche de l'institut ainsi que la qualité des procédures d'évaluation des programmes et des équipes. Mais la principale mesure consiste à doter l'institut d'un budget propre : les subventions qu'il reçoit font l'objet d'une ligne particulière du budget de l'Etat. La dépendance à l'égard du CEA est ainsi coupée, même si la gestion administrative et financière et celle du personnel restent assurées dans le cadre et selon les règles du Commissariat pour préserver les droits sociaux du personnel.

IPSN : Quelques chiffres clés tirés des rapports d'activité.
IPSN : Quelques chiffres clés tirés des rapports d'activité.

L'IPSN voit également ses structures modifiées pour donner une plus grande importance à la protection de l'homme et de l'environnement ; en témoigne par exemple le fait que l'ancien Département de Protection Sanitaire (DPS) se dédouble en un Département de la Protection de la Santé de l'Homme et de Dosimétrie (DPHD) et un Département de Protection de l'Environnement et des Installations (DPEI). L'accent est également mis sur la sûreté des Réacteurs à Eau Pressurisée.

La nomination en 1991 du nouveau Directeur à la tête de l'Institut marque une certaine rupture avec le passé. A la différence des quatre directeurs précédents - Jean Bourgeois, Pierre Tanguy, François Cogné et Jean Rastoin (ce dernier a assuré l'intérim pour l'année 1990) -, Philippe Vesseron n'est pas un pur produit du Commissariat à l'Energie Atomique. Ingénieur du corps des mines, il a travaillé essentiellement pour le compte du ministère de l'environnement avant de passer quelques années auprès du Haut-commissaire puis d'entrer à l'IPSN. Chef du Département de Protection Technique de l'IPSN, il est nommé Directeur Adjoint en 1990, Directeur en 1991. Conformément au souhait des Pouvoirs Publics, une des missions principales à laquelle il s'attelle est de préciser quels sont les départements de l'Institut qui travaillent pour le compte de tiers, pour éviter que l'IPSN puisse être considéré comme juge et partie dans l'analyse de sûreté.

Il faut empêcher dans la mesure du possible que l'institut soit à la fois consultant pour un industriel pétitionnaire qui a besoin des spécialistes de l'Institut pour les domaines qu'il ne connaît pas, puis analyste, pour le compte des autorités, de la sûreté du projet qu'il a contribué à élaborer. Et la chose n'est pas si simple qu'il y paraît. Cela soulève un problème général à tout corps d'expertise, à savoir le nombre limité de spécialistes dans certaines disciplines de pointe. Pour prendre un exemple qui n'est pas complètement fictif, un industriel qui veut construire un irradiateur parce qu'il veut obtenir certaines qualités pour un matériau, mais qui ne connaît rien au domaine de l'irradiation, peut difficilement trouver des spécialistes hors de l'IPSN. L'Institut va analyser le dossier de l'industriel et lui proposer les solutions les plus adaptées. L'industriel dépose alors une demande auprès des autorités pour la création d'une nouvelle INB. L'autorité se retourne alors vers son appui technique auquel elle demande d'analyser le dossier. Ce n'est pas forcément la même personne, le même bureau ou service qui s'en charge, mais l'Institut peut globalement être considéré comme partie prenante. Or l'Institut fonctionne en partie grâce aux retombées des contrats qu'il passe pour des études avec les industriels, et s'il se coupe des industriels du nucléaire, c'est une partie du financement qui disparaît. Par ailleurs, on ne s'autoproclame pas expert, et la compétence ne peut venir que d'une longue pratique sur le terrain : or quel est le terrain, pour par exemple des études sur la réactivité, sinon le CEA, ou EDF et Framatome. L'IPSN reste inclus dans le CEA, ce qui permet des passages de la recherche au plus haut niveau vers l'expertise, qui assure un transfert des connaissances et le maintien des compétences de l'organisme d'expertise. Mais d'un point de vue de la délimitation des responsabilités, le problème reste entier. La situation peut même friser la caricature : l'IPSN en tant que laboratoire de recherche possède en propre des installations. La question se pose ainsi de savoir qui à l'IPSN va pouvoir analyser sous l'angle de la sûreté l'installation de l'IPSN. Cette distinction des rôles est un problème délicat.

Le nouveau directeur prend également des engagements à l'égard de l'opinion, avec un vocabulaire nouveau puisqu'il invoque les valeurs d'honnêteté : «Tous les sujets sur lesquels travaille l'IPSN passionnent nos concitoyens : nous nous devons aussi de dire clairement ce que nous faisons, d'informer sur les résultats dont nous disposons, d'expliquer les problèmes non résolus. Chacun voit bien que les valeurs sur lesquelles nous serons jugés sont l'efficacité, la compétence et l'honnêteté ! « 1075 Ainsi Philippe Vesseron concluait-il son introduction au rapport d'activité 1991. Cette affirmation d'honnêteté devait se matérialiser deux ans plus tard par la publication d'une charte de déontologie explicite de l'Institut : «L'éthique professionnelle que respecte l'Institut est à l'évidence un des éléments essentiels de la qualité de notre travail global, et partout un aspect majeur de notre contribution à la sûreté nucléaire en France, qui doit être rigoureuse, crédible, sans maximalisme ni complaisance. La qualité des avis que nous exprimons repose à la fois sur la compétence technique des équipes et sur leur aptitude à se poser toutes les questions pertinentes, même si elles sortent des sentiers battus. Pour une bonne part, ceci n'est possible que grâce aux liens étroits entre équipes d'expertise et responsables de projets de recherche spécifiques dans le domaine de la radioprotection, de la radioécologie et de la sûreté. (…) Comment assurer le choix des programmes et le transfert des résultats de recherche sans introduire de confusion des rôles ni à l'intérieur de l'Institut ni avec ceux qui promeuvent ou exploitent les techniques de l'énergie nucléaire ? Comment garantir l'indépendance d'esprit tout en multipliant les liens avec des partenaires toujours plus nombreux ? Quels sont les «conflits d'intérêts» possibles et comment les expliciter et les résoudre ? C'est le type de questions auquel nous avons essayé de répondre.» 1076

Là aussi, le langage est nouveau : on s'adresse au public, à qui on affirme qu'on veut lui rendre des comptes sur la façon dont on travaille, sur les doutes qui peuvent exister. Tout n'est pas parfait mais on essaie de s'améliorer, en réaffirmant un principe de base qui assure la compétence à savoir le travail étroit avec les organismes de recherche. La grande différence est donc fondamentalement un appel à la confiance du public, par une plus grande transparence et une réflexion sur son propre travail. Ce n'est plus la vision du technicien tout puissant par rapport à un public béotien, mais l'affirmation d'une compétence nécessaire basée sur la science et la technique mais non mâtinée d'autorité technocratique.

Notes
1073.

Le premier Comité de Direction de l'IPSN est présidé par Yvette Chassagne. Il compte comme membres Claude Guizard, préfet, Secrétaire Général du Comité Interministériel de la Sécurité Nucléaire, Michel Lavérie, Directeur de la Sûreté des Installations Nucléaires, Jean-François Girard, Directeur Général de la Santé, Joël Lebeschu, Directeur de la Sécurité Civile, Henri Legrand, Directeur de l'Eau et de la Prévention des Pollutions et des Risques, Jean Castellan représentant le Délégué Général pour l'Armement, Bernard Cauvin, Président de la Communauté Urbaine de Cherbourg, le Professeur Gaston Meyniel, Directeur du Centre Jean Perrin, et Michel Turpin, Directeur Général de l'INERIS.

1074.

Outre le Président Jean Teillac, Haut-Commissaire à l'Energie Atomique, le premier Comité Scientifique de l'IPSN comprend Martine Lagache, Directeur de recherches au CNRS, Pierre Bacher, Directeur Technique à la Direction de l'Equipement à EDF, Adolf Birkhofer, Directeur de la Gesellschaft für Anlagen und Reaktorsicherheit (GRS), le Professeur Robert Flamant, Directeur de l'Institut Gustave Roussy, Serge Pretre, Chef de la Division Radioprotection, Division Principale de la Sécurité des Installations Nucléaires, Jean-François Saglio, Ingénieur Général des Mines, Ministère de l'Industrie et du Commerce Extérieur, Raymond Sené, Membre du Groupement des Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire, Gérard Vuillard, Rhône Poulenc.

1075.

Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, Rapport d'activité 1991, p. 7.

1076.

Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, Rapport d'activité 1993, p. 6.