19.4.2. La radioprotection, indice de la sûreté

Au cours des années 1990, on estime du côté de la DSIN que les efforts fournis du côté de la sûreté ne peuvent pas pleinement porter leurs fruits auprès du public à cause de certains manquements du côté du contrôle de la radioprotection.

En effet, nombre de petits scandales qui surgissent dans la presse périodiquement et affectent l'ensemble de l'industrie nucléaire ressortissent du domaine de la radioprotection : on l'a vu lors de la première visite décennale de Fessenheim en 1989 où le SCPRI refusait de communiquer ses données de mesure de radioactivité autour du site, contribuant à semer le doute sur toute l'activité de contrôle. D'autres événements allaient défrayer la chronique, comme en 1998 le transport par wagons de combustibles irradiés d'EDF et dont la contamination surfacique dépassait périodiquement les normes réglementaires. C'est encore la découverte d'anciennes traces de contamination à l'uranium dans certaines maisons de Gif-sur-Yvette… D'un point de vue d'affichage vis-à-vis du public, les progrès en matière de sûreté ne pouvaient avoir de portée médiatique si, périodiquement, des événements du côté de la radioprotection faisaient scandale. C'est pourquoi il apparaissait nécessaire de progresser du côté de la radioprotection, notamment par un rapprochement avec la sûreté.

Sur le fond, un certain nombre de raisons expliquent pourquoi l'organisation de la radioprotection n'a jamais été à la hauteur de l'organisation du contrôle de la sûreté. La sûreté, affaire d'ingénieurs, a eu d'emblée à s'occuper de gros engins comme les réacteurs ou les installations de recherche. L'objet d'étude était clairement identifié, au sein d'organismes centralisés comme le CEA, disposant de crédits importants. A partir du moment où l'Etat a décidé de créer ses propres structures de contrôle de la sûreté, au sein du ministère de l'industrie, des postes ont été créés, de l'argent a été mis à disposition. Dans le cas de la radioprotection, les installations à contrôler sont beaucoup plus nombreuses, beaucoup plus diffuses (sources radioactives pour les applications médicales, appareils à rayons X…) Historiquement, le contrôle de la radioprotection en France est né au sein de l'INSERM sous la forme d'un Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) à partir de 1954 et confié au Professeur Pierre Pellerin. Considéré comme un despote éclairé, mais despote également contre les exploitants nucléaires qui devaient obéir à ses oukases, le professeur Pellerin, en charge du SCPRI pendant près de 40 ans, a assumé personnellement un grand nombre de décisions, mais s'est moins soucié de constituer une mécanique pour exercer le contrôle. Plus fondamentalement peut-être, la radioprotection a été organisée au sein du ministère de la Santé, qui est un ministère disposant de peu de moyens. Pendant longtemps, une seule personne dans l'administration de la Santé était en charge de la radioprotection, l'ensemble du fonctionnement du contrôle étant de fait confié au SCPRI, l'organisme expert. Les rôles d'expertise et d'autorité administrative étaient de ce fait peu distincts. Mais le rattachement de la radioprotection à la santé avait un effet «pervers» : du point de vue de la santé publique, la radioprotection ne peut pas être une priorité au regard des fléaux pour la santé que sont des problèmes comme l'alcoolisme, le tabagisme ou le cancer. La pauvreté du ministère explique alors pourquoi, ne comptant pas comme une priorité majeure, le traitement budgétaire de la radioprotection a toujours été faible. D'ailleurs, même en considérant le seul domaine de la radioprotection, la priorité à accorder n'est pas évidente, du point de vue de la santé publique, entre la radioprotection des travailleurs du nucléaire, celle des milieux médicaux qui mettent en œuvre les rayonnements soit pour faire des diagnostics soit des thérapies, ou la limitation des doses reçues par les patients. 1095

En 1994, le SCPRI est transformé en Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), et placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés respectivement de la santé et du travail. Comme précédemment, les ministres, pour le contrôle de la radioprotection, ont préféré se reposer sur l'appui technique qu'est l'OPRI (200 personnes), et n'ont créé dans l'administration qu'un seul bureau en charge des problèmes de radioprotection dans chacun des ministères. Ce bureau regroupe au total une dizaine de personnes.

Nous quittons à présent l'histoire proprement dite pour l'histoire immédiate, en cours d'élaboration, pour traiter ce qui apparaît comme l'une des dernières étapes d'une longue évolution.

Dans le cadre d'une réforme du système global de contrôle du nucléaire, périodiquement objet de critiques, notamment de la part de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, les moyens dévolus à la sûreté et à la radioprotection sont regroupés, tant en ce qui concerne l'expertise qu'en matière d'autorité administrative. Ainsi, le gouvernement décide par décret du 22 février 2002 que les services de l'Etat chargés du contrôle de sûreté nucléaire et de radioprotection sont rassemblés 1096 au sein d'une Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR), dont André-Claude Lacoste est nommé Directeur général. La DGSNR est placée sous l'autorité de trois ministres. Les ministres de l'industrie et de l'environnement restent compétents en matière de contrôle de la sûreté nucléaire, le ministre chargé de la santé en matière de contrôle de la radioprotection de la population. Parallèlement, les moyens d'expertise de l'IPSN et de l'OPRI sont regroupés au sein d'un nouvel institut public à caractère industriel et commercial, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Le nouvel IRSN est placé sous la tutelle des ministres chargés respectivement de l'environnement, de l'industrie, de la recherche, de la santé et de la défense. On peut ici parler de rupture, car pour la première fois depuis les débuts de l'énergie nucléaire en France, l'organisme d'experts est structurellement détaché du Commissariat à l'Energie Atomique.

Notes
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Il serait sans doute intéressant d'étudier les différences culturelles entre les ingénieurs qui majoritairement s'occupent de la radioprotection, dont nombreux sont issus du CEA, mais qui sont souvent classés comme médecins, et les médecins travaillant dans les hôpitaux sur des appareils distillant des rayonnements ionisants. L'hypothèse culturelle explique peut-être les réticences des médecins au contrôle de la radioprotection dans le milieu médical : car du point du vue thérapeutique, ils utilisent eux des doses colossales, et conçoivent difficilement quel problème posent des doses mille à 10 000 fois plus faibles du fonctionnement normal du nucléaire. Ajoutons à cela la tradition vivace du milieu médical où règnent encore les grands patrons, maîtres de la vie des gens.

1096.

La DGSNR regroupe ainsi la DSIN côté sûreté, et du côté radioprotection, le Bureau des rayonnements de la Direction générale de la santé au ministère de l'emploi et de la solidarité, la partie de l'OPRI qui par délégation exerçait de fait, au-delà de l'expertise, des tâches de contrôle, ainsi que le Secrétariat permanent de la Commission interministérielle des radioéléments artificiels (CIREA).