1986-2002

L'accident de Tchernobyl ouvre une ère nouvelle dans le contrôle de la sûreté nucléaire en France. Défauts de conception, négligences criminelles, procédures de qualité formelles, routine dans le fonctionnement, maintenance effectuée au rabais, procédures prescrites différentes de la réalité du travail, toutes ces raisons ont conduit à l'accident d'avril 1986 aux conséquences dramatiques.

L'accident met en lumière le rôle des organisations dans la gestion réelle de la sûreté. A la suite de Tchernobyl, un comité d'experts de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique insiste sur le concept de «culture de sûreté». Comme lors de l'accident de Three Mile Island, l'insuffisance de l'organisation de bonnes pratiques de travail en matière de sûreté a conduit à l'accident de Tchernobyl. Une bonne «culture de sûreté» nécessite que la hiérarchie impulse un climat où la sûreté reçoive la priorité : le comportement des opérateurs est conditionné par les exigences de son encadrement.

Les années qui suivent l'accident sont marquées en France par la découverte de problèmes techniques épineux sur le parc nucléaire, d'autant plus redoutables que la standardisation fait que toutes les tranches d'un même palier sont potentiellement touchées. Des problèmes de corrosion affectent successivement les générateurs de vapeur, les pressuriseurs et les couvercles de cuve. Conséquences d'un choix malheureux dans la nuance d'acier à la conception, de certains défauts de construction, les solutions techniques ne s'imposent pas de façon univoque. Les débats divisent les experts quant aux causes des phénomènes, quant à la cinétique de leur évolution, leur dangerosité, et donc aux moyens à adopter pour les solutionner. Face à ces problèmes génériques et étant donné l'importance de l'énergie nucléaire dans la fourniture d'électricité en France, l'autorité de sûreté ne veut pas se retrouver au pied du mur : pourrait-on prendre sereinement la décision d'exiger l'arrêt de tous les réacteurs en même temps, s'ils étaient victimes d'une de ces anomalies ? Ainsi l'autoroité exige que des solutions soient disponibles pour faire face et reproche à l'exploitant sa réactivité insuffisante quand un problème survient.

Parallèlement aux défauts matériels, de graves manquements à la sûreté sont révélés lors d'opérations de maintenance mal effectuées à l'été 1989. Au-delà des erreurs ponctuelles, la question de la qualité de la maintenance met sur la sellette l'ensemble de l'organisation du Service de la Production Thermique d'EDF : son organisation interne (relations entre services centraux et centrales), sa relation avec les prestataires, la question des effectifs, leur qualification ou encore la course à la rentabilité.

L'ensemble des problèmes rencontrés sur le parc d'EDF induit un raidissement de l'autorité de sûreté, qui traduit également la méfiance de l'opinion à l'égard de l'énergie nucléaire après Tchernobyl. Elle révèle également une évolution dans la conception du rôle des pouvoirs publics en matière de contrôle : l'administration se veut moins serviteur de l'Etat que responsable devant l'opinion publique. Le pouvoir de l'autorité administrative se renforce progressivement : d'un petit service, on passe à une direction puis une direction générale. L'administration affirme que son rôle est plus celui d'un contrôleur que celui d'un partenaire de l'industrie nucléaire. Elle dispose de moyens conséquents, de gens compétents, et a le soutien de l'opinion dans sa confrontation avec le producteur d'électricité.

La structure du contrôle de la sûreté évolue vers une plus grande distinction des rôles des trois acteurs principaux : des experts plus experts techniques et moins régulateurs, des régulateurs moins proches des milieux industriels, plus indépendants des ministères et plus sensibles à l'état de l'opinion, un producteur national d'électricité moins «service public» et aux critères industriels et financiers toujours plus affirmés.