La gestion de la sûreté nucléaire : un modèle pour les autres systèmes techniques à risque ?

Le niveau de sûreté actuel de l'industrie nucléaire, dont chacun s'accorde à souligner le caractère hors du commun 1105 , est la résultante des efforts consentis par ce secteur : on se protège contre des risques extrêmes aux probabilités infimes. C'est parce qu'on a beaucoup travaillé et dépensé qu'un tel niveau a été atteint. Loin de conclure qu'il faudrait diminuer les efforts en la matière, la voie est indiquée pour les autres industries. Cela démontre que de nombreux risques encourus aujourd'hui, et qui causent des victimes, pourraient être grandement diminués, parfois en consacrant des sommes ridicules au regard de celles investies dans le domaine nucléaire. Les techniques existent souvent pour cela, il faut y consacrer les moyens.

Mais le modèle de gestion de la sûreté nucléaire est-il transposable pour les autres techniques à risque ? Nous avons montré que l'émergence et l'institutionnalisation de la sûreté ont été le produit d'une histoire particulière. Des recherches sur les qualités d'un bon management du risque, il ressort que celui-ci doit reposer sur trois pieds : un industriel qui présente des rapports de sûreté, un organisme d'expertise qui les analyse et remet un avis technique à une autorité administrative ou indépendante qui décide de l'acceptabilité. L'expertise ne doit pas être ponctuelle mais être le fait d'une communauté d'experts qui travaillent en continu, dans la durée, impulsant des recherches dans leur optique particulière, la sûreté. L'analyse doit être contradictoire et la confrontation des points de vue des experts doit permettre de localiser des zones de consensus, celles ou le consensus est fort, celles où il l'est moins, pour identifier les véritables variables. Mais la construction de la gestion de la sûreté nucléaire a été le fruit d'une évolution, et le contexte politique, industriel, économique du nucléaire est appelé à se modifier notamment du fait de la dérégulation et de l'ouverture du marché de l'électricité : les relations entre ces différents partenaires seront sans doute elles aussi amenées à se transformer.

Il serait sans doute riche d'enseignements de s'intéresser de la même façon à l'histoire de la sécurité dans l'industrie chimique, industrie qui présente de fortes similitudes avec l'industrie nucléaire en matière de risque et de type d'installations. Le domaine aéronautique, précurseur comme l'industrie nucléaire en matière de risque et qui s'est développé dans un contexte différent, pourrait apporter d'autres éclairages sur la façon dont ces grands systèmes techniques s'insèrent dans nos sociétés.

«Alors, c'est sûr ?» On aura compris qu'aucune réponse tranchée ni définitive n'est possible à cette question qui m'est posée par presque tous les interlocuteurs novices et intrigués par ce thème. La seule réponse est sans doute la description du processus de gestion de la sûreté nucléaire, la répartition des rôles entre organismes, la compétence acquise par les uns et les autres, les progrès réalisés dans la prise en compte des risques, une comparaison avec les pratiques étrangères, et avec les pratiques d'autres industries… En somme, un résumé de cette étude.

Notes
1105.

Cf : Rapport de la commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur, Assemblée nationale, N°3559, 19 janvier 2002.