UNIVERSITE LUMIERE LYON 2
INSTITUT DES SCIENCES ET PRATIQUES D’EDUCATION ET DE FORMATION
Thèse de doctorat (N.R)
en Sciences de l’Education
La rééducation contre l’école, tout contre
La compatibilité entre la rééducation et la forme scolaires.
L’identité professionnelle des rééducateurs en question.
Sous la direction de
Monsieur le Professeur Charles GARDOU
Le 13 Janvier 2003

Remerciements

L’auteur voudrait avant tout remercier :

Monsieur Charles GARDOU pour sa bienveillance obstinée.

Tous ceux qui ont accepté de consacrer un peu de leur temps et de leur intelligence à me faire progresser. Ce sont en particulier, Jean-Claude REGNIER, Maryse METRA, Angelines MARISCAL et Jeannine DUVAL-HERAUDET.

Aux stagiaires qui ont été candidats à la formation C.A.P.S.A.I.S. G pour m’instruire.

Les rééducateurs scolaires sont une création récente de l’Education nationale. Leur profession a subit de nombreux changements et de multiples critiques tant dans la définition de leurs missions que dans la définition de leurs rôles. Ces modifications ont une influence sur leur sentiment d’appartenance à l’institution et signalent a contrario un rapport particulier de l’école à l’élève en difficulté. L’étude des effets de ces changements sur les rééducateurs en terme de difficultés identitaires, sur leur place au sein de l’institution, sur leurs rôles vis-à-vis des différents interlocuteurs et sur les rapports délicats entre école et rééducation permet de montrer que l’école expérimente ses représentations de l’élève au détriment d’une profession victimisée.

Résumé

Il est des professions aux histoires rectilignes qui n’empruntent des détours qu’aux inflexions techniques, il en est d’autres qui ne durent que le temps d’un projet ; il en existe d’autres encore dont on a perdu l’origine : la rééducation ne fait pas partie de celles-là. Son histoire est complexe, convulsive et traversée de conflits tantôt ouverts tantôt cachés.

Depuis que cette profession existe, elle a su attirer louanges 1 et reproches, critiques et quelquefois soutiens. Une jeune profession, circulant entre deux continents protégés, querelleurs et historiquement définis, la pédagogie et la psychologie, ne pouvait que susciter réprobations, convoitises et disputes.

Nous avons donc tous les ingrédients pour disposer d’un objet d’étude susceptible de révéler un fonctionnement caché de l’institution scolaire. Questionner la rééducation à l’école revient à interroger le fonctionnement de l’institution. La problématique de cette recherche est ancrée sur cette thèse : la rééducation est un analyseur des dysfonctionnements institutionnels de l’école. Celle-ci invente la rééducation, la modifie régulièrement, la critique, la rend invisible 2 mais ne l’élimine pas, surtout pas. Un seuil reste à franchir pour supposer une instrumentation inconsciente. Et si le rapport de l’institution avec les rééducateurs révélait, d’une manière paradoxale et dans la douleur parfois, les tentatives de changement de représentation que l’école se fait de sa fonction et des élèves ? Cette hypothèse permettrait de comprendre à la fois l’acharnement dont fait preuve l’institution pour régulièrement remettre en cause la cadre de la rééducation – sans toutefois s’en débarrasser définitivement – et l’obstination des rééducateurs à se maintenir dans les murs de l’école.

Ainsi, notre question fédératrice sera celle-ci : en quoi le questionnement identitaire des rééducateurs fonde-t-il leur fonction et garantit-il en même temps la mission intégrative de l’école ? Deux hypothèses problématiseront la recherche.

Notre première hypothèse concerne la place de la rééducation dans l’école. Si la rééducation suscite tant de questions, de remarques ou de reproches il est nécessaire de s’interroger sur sa place et sa compatibilité avec l’école. En reprenant les travaux de Guy VINCENT  3 , nous montrons que la rééducation relationnelle, abordée par le biais formel, s’oppose à la forme scolaire. L’analyse de contenu des mémoires professionnels des candidats à l’option G, l’analyse de l’enquête réalisée auprès des rééducateurs en poste dans le département du Rhône et des articles parus dans une revue de la F.N.A.R.E.N. (Envie d’école) et l’analyse des rapports de l’Inspection Générale complèteront l’étude de la représentation de la rééducation. Ainsi, tout en se situant au sein de l’institution scolaire, le rééducateur semble s’échapper, voire s’opposer dans sa pratique à la forme scolaire.

Ainsi, les critiques adressées aux rééducateurs pourraient être interprétées comme l’expression du refus ou la crainte des changements à engager au sein de l’école. Les rééducateurs, comme d’autres professionnels de l’éducation ‑ psychologues, médecins scolaires, intervenants extérieurs, etc. ‑ signalent par les particularités de leur discours et de leurs actes que le fonctionnement de l’école gagnerait à être amélioré. La rééducation devient un analyseur du fonctionnement de l’institution.

La seconde hypothèse veut montrer que, tout en se situant « contre » l’école, la rééducation est condamnée à y rester « tout contre », dedans mais différente des autres pratiques, pour ne pas être dissoute dans l’institution scolaire. Elle joue un rôle ingrat mais nécessaire. Hélas, cette situation particulière désigne les maîtres spécialisés chargés de la dominante rééducative comme victimes sacrificielles de l’institution. Ce report sur les rééducateurs exprime le malaise de l’institution vis-à-vis de l’échec scolaire : ils jouent le rôle de bouc émissaire. L’école favorise majoritairement le développement cognitif des élèves ; il lui faut donc disposer d’un personnel qui prenne en charge les élèves en difficulté – notamment relationnelle, comportementale et affective – sans les désigner comme anormaux. En limitant l’école à une fonction instructive, ces élèves seraient à orienter vers des structures extérieures, donc de soins ou incluant des soins. La rééducation scolaire assure une fonction institutionnelle de recours basée sur la prise en charge à l’école des difficultés affectives, de la restauration du sens du travail scolaire et de l’estime de soi, compétences supposées disponibles chez tout élève. L’identité professionnelle des rééducateurs est dessinée par l’analyse des parcours professionnels des rééducateurs du Rhône, la critique des rapports de l’Inspection Générale, l’analyse des publications de la F.N.A.R.E.N., l’analyse de l’enquête réalisée auprès des rééducateurs en poste dans le département du Rhône et l’analyse de contenu des mémoires professionnels C.A.P.S.A.I.S. G. Les travaux de sociologie des professions de Claude DUBAR 4 seront sollicités pour décrire les changements identitaires.

La rééducation à l’école est un élément régulateur indispensable. Au lieu de rester confinés dans ce rôle négatif, les rééducateurs ont su, en réfléchissant sur leur profession, mettre en avant un regard particulier sur l’enfant, élève à l’école. Ce regard leur est propre et leur garantit une authenticité au sein de l’institution scolaire. Il résulte d’un positionnement particulier vis-à-vis des partenaires de la rééducation et des théories de référence. Il joue un double rôle. Il les assure de leur survie au sein de l’école sans empiéter sur les territoires des partenaires. Il permet une spécificité du rapport à l’enfant qu’aucun des partenaires ne peut assurer. Nous utiliserons la figure mythique de Janus, préférable et plus juste à notre sens que celle de la chimère 5 , pour particulariser la place et le rôle de passeur joué par le rééducateur dans l’institution : passeur se situant dans un entre-deux, entre psychologie et pédagogie. La rééducation est un analyseur de l’institution et répond à l’ambiguïté de la situation par un double attachement dans et hors l’école, par les actions engagées au sein des locaux scolaires et par les entretiens qui sont menées avec les parents et les partenaires éducatifs professionnels. Il semble que les rééducateurs réalisent dans leur métier l’état vécu par les élèves pris en charge par le R.A.S.E.D. Ils illustrent par leur dualité professionnelle la difficulté de certains élèves.

Notes
1.

CHILLAND (Colette), Bilan de trente ans de travail avec les écoles et perspectives d’avenir, Neuropsychiatrie de l’Enfance, Paris, 1992, n°40, pp 211 à 214.

2.

Pour l’anecdote : aucune mention n’est faite des G.A.P.P. et de la rééducation dans la bande vidéo « Nouvelle politique pour l’école », (émission présentée par Paul AMAR, Direction de l’Information et de la Communication, janvier 1992, durée 28 mn) diffusée dans toutes les écoles présentant la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 ; il est courant de voir disparaître les R.A.S.E.D. dans les projets d’école, toute tentative de recherche dans une encyclopédie ne renvoie jamais vers « rééducation scolaire », etc.

3.

VINCENT (Guy) sous la direction, L’éducation prisonnière de la forme scolaire ?, Lyon, P.U.L., 1994

4.

DUBAR (Claude), La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, 1991; Paris, Armand Colin / Masson, 1996

5.

MARTIN-HERBERT (Jacqueline), Identité d’une chimère, Thèse de doctorat de psychologie, Université PARIS 7, 1986.