La forme scolaire

Guy VINCENT précise que :

‘« Parler de forme scolaire, c’est donc rechercher ce qui fait l’unité d’une configuration historique particulière, apparue dans certaines formations sociales à une certaine époque et en même temps que d’autres transformations, par une démarche à la fois descriptive et compréhensive » 97 .’

Ainsi, ce qui est recherché tant dans la forme scolaire que dans la forme rééducative, c’est leur « principe d’engendrement, c’est-à-dire d’intelligibilité » qui a été défini pour la forme scolaire « comme le rapport à des règles impersonnelles ». L’avantage de se référer à cette théorie réside principalement dans la possibilité de penser le changement malgré les nécessaires fluctuations qu’une forme subit dans le temps et dans les lieux.

L’invention de la forme scolaire se situe au XVI ème et XVII ème siècle. Elle est « une forme inédite de relation sociale entre un maître[...] et un écolier[...] » 98 . En s’autonomisant par rapport aux autres relations sociales – « [...] les maîtres – écrivains résistent à l’intrusion des maîtres d’école » 99 , elle « dépossède les groupes sociaux de leurs compétences et prérogatives » 100 . De fait, la relation pédagogique instaure un temps et un lieu spécifiques dont seul la maître règle l’organisation. J.-B. de LA SALLE en fut le grand théoricien. Tous ses écrits pédagogiques rappellent les critères de bon fonctionnement de ce lieu d’instruction appelé école, distinct des autres lieux de socialisation. L’apparition de la forme scolaire est à associer à l’instauration du nouvel ordre urbain qui redistribue les pouvoirs religieux et civils. La principale nouveauté provient du public scolaire : tous les enfants quelque soit leur richesse vont à l’école. En ce lieu, l’enfant apprend à lire dans les textes profanes – les Civilités. Il les lit, les copie, obéit à des règles impersonnelles. Cette scolarisation massive relève d’une mesure d’ordre public dont le fondement est davantage dans l’apprentissage de la soumission à la règle qu’à la transmission de savoirs. La particularité de cette forme scolaire n’est pas dans l’assujettissement décrit par Michel FOUCAULT 101 , notamment dans la partie sur la discipline, mais celui qui est dû à des règles impersonnelles : le maître devait s’y soumettre aussi. L’espace et le temps social de l’école étaient dédiés à l’apprentissage et l’accomplissement des règles édictées. Le maître n’est que le répétiteur. La relation pédagogique n’est pas entre le maître et l’élève mais entre l’élève et la règle. La forme scolaire relaie le changement des conceptions dans le politique : « TURGOT a souligné le rôle politique de l’école [...] dans l’instauration d’un nouveau rapport de domination » 102 – et dans le religieux –« la catéchèse se fait désormais [...] sous forme scolaire (manuels, leçons distinctes faites de questions-réponses à lire et à apprendre par cœur...) » 103 .

Avec le temps, l’école a davantage mis en valeur les contenus enseignés sans jamais abandonner le respect des règles.

Cette forme scolaire fera florès. Qui n’a pas observé un individu hors de l’école, lever le doigt pour prendre la parole comme en classe ? Combien de fois une formation, positive bien sûr, est refusée ou critiquée délibérément quand elle ne ressemble pas à une pratique scolaire ? Qui n’a pas vu des stages de « remise à niveau » refusés par des chômeurs candidats pour leur trop grande ressemblance avec une pratique scolaire ? Combien d’officines de pseudo formation se nomment : institut, école, centre, etc ? La forme scolaire est devenue la référence. Tout ce qui s’en approche est synonyme d’apprentissage, tout ce qui s’en éloigne attire la suspicion. Il y a confusion entre mode d’apprentissage et contenu – voire qualité – d’apprentissage :

‘« La prédominance du mode scolaire de socialisation se manifeste par le fait que la forme scolaire a largement débordé les frontières de l’école et traverse de nombreuses institutions et groupes sociaux » 104 .’
Notes
97.

Ibid., p 13

98.

VINCENT (Guy) op. cit. p 15

99.

Ibid., p 16

100.

Ibid., p 16

101.

FOUCAULT (Michel), Surveiller et punir, Gallimard, 1975, 318 p ; p 135-230

102.

VINCENT (Guy) op. cit., p 19

103.

VINCENT (Guy) op. cit., p 17

104.

Ibid., p 40