L’incompatibilité est flagrante, surtout lorsque seules sont pointées les différences. Si à l’école, le code est édicté, il est à la discrétion des protagonistes en rééducation – le minimum étant le respect des personnes. L’école est un lieu de travail – il n’est pas rare d’entendre une maîtresse de maternelle le rappeler à un élève distrait ! -, le jeu et la parole règnent sans partage en rééducation. Le temps scolaire contraint est négocié avec le rééducateur. Les contenus à transmettre sont prédéfinis en classe, la rééducation sera un temps de découverte unique pour l’enfant et le rééducateur. Le projet scolaire de l’élève – quand il existe ! – s’emboîte dans une suite de projets qui s’étagent de celui de la société à celui de la classe en passant par la région, l’école et l’enseignant. Le projet rééducatif est inventé et évalué directement par les protagonistes, chacun ayant des niveaux d’exigence différents. A chaque rentrée, l’élève noue une nouvelle relation avec un enseignant qu’il va garder pour l’année ; cette relation évitera d’être personnalisée. Avec le rééducateur, la relation sera personnalisée et tout sera mis en mots. En classe, un programme sera défini par l’enseignant ou puisé dans un manuel alors que le travail rééducatif subira les aléas de l’invention et du désir de l’enfant. Enfin, l’évaluation des apprentissages fait référence à des normes externes ; le progrès en rééducation dépend d’appréciations et d’indicateurs, parfois au préalable, indéfinis.
De même, il est évident maintenant qu’une forme ne peut « souffrir avec » l’autre dans le même lieu et le même temps. Cette incompatibilité est quelquefois ressentie lors de visites d’observation mal organisées en classe par le rééducateur.
Pourtant la rééducation ne peut exister que si elle se déroule dans l’enceinte de l’école : sans cette condition nous assisterions au mieux à une thérapie, au pire à une marginalisation ambiguë.
Néanmoins, en filant la métaphore de la compatibilité entre machines, nous pouvons avancer que la connexion est possible et souhaitable. Des informations circulent de l’éducation vers la rééducation et inversement. C’est le cas lors des définitions des projets de rééducation, lors des réunions de synthèse, lors des réunions de cycle ou de rentrée.
La présence de cette pratique – de recours admettons-le – dans l’école est un avantage appréciable. Son existence à l’école augmente la variation des pratiques et contribue à réguler le rejet inhérent à toute institution envers les élèves qui ne sont pas dans les conditions d’apprendre. Elle permet d’apporter une aide unique et irremplaçable aux élèves en difficulté et contribue à la démocratisation de l’école. Sans elle, l’école abandonnerait un moyen d’atteindre son objectif de justice sociale.
La rééducation scolaire constitue un laboratoire pour l’école en ouvrant une espace unique à des élèves en particulier qui ne peuvent entrer dans les apprentissages : « Ceci constitue un des points sur lesquels la rééducation peut être un laboratoire pour l’école : la façon d’accueillir les enfants qui sont dans une lutte primaire contre l’adversité. » 444 Cette aide offerte aux élèves dans le cadre scolaire fournit les repères nécessaires aux élèves pour rester élèves à l’école ; repères qui n’ont ni été apportés ni été supportés par les familles :
‘« Les enfants qui viennent en rééducation , ce sont ceux qui rencontrent une adversité inscrite dans les façons même de la famille de vivre les choses. S’il y a un manque de repères, c’est que le repérage est tellement globalisant qu’on ne peur entre dans les détails. Il y a une pression des menaces, qu’une organisation de la désorganisation constitue une manière de se défendre. Ces enfants ne peuvent supporter les repères, et leurs parents non plus d’ailleurs. » 445 ’Cette aide se situe dans un entre-deux permettant de mettre en lien la pédagogie et la psychothérapie.
LEVINE (Jacques), "La rééducation : une pédagogie de la transitionnalité ?," Envie d'école n°28 (septembre - octobre 2001): p 19.
LEVINE (Jacques), op. cit.