Le passage du G.A.P.P. au R.A.S.E.D. a recherché et obtenu la centration de l’apport spécialisé sur les actions au détriment de celles sur les acteurs. La conception des aides est donc déclinée sous forme de dominantes : pédagogique et rééducative. L’intérêt et la pertinence de ce fonctionnement présente le risque de dilution et de non-reconnaissance de la spécificité des acteurs. Le R.A.S.E.D. est un réseau de compétences et non une structure composée de personnels spécialisés.
La philosophie maximaliste répartit l’exigence de prévention sur tous les acteurs du système éducatif et modère donc le caractère spécialisé des R.A.S.E.D. Leur action est enchâssée dans une chaîne de préventions.
Le parcours historique nous a instruit des événements qui ont émaillé l’avènement de la rééducation scolaire. Précisons que la création du Certificat d’Aptitude à l’Enseignement des enfants Arriérés (C.A.E.A.) et l’ouverture de classes spécialisées à l’initiative d’Alfred BINET« inaugure un conflit de pouvoir entre éducatif et médical » 446 . La présence de rééducateurs au Ministère de la Santé manifestera la concurrence entre les deux ministères de l’Education Nationale et de la Santé. Les multiples décisions de l’administration – modification des intitulés des diplômes – C.A.E.A. puis C.A.E.I. et enfin C.A.P.S.A.I.S., réforme concomitante des missions et des rôles des rééducateurs et changement des structures – signalent une évolution des conceptions de l’élève en difficulté. Il sera nommé successivement arriéré, inadapté, handicapé ou en difficulté. Cette mutation des conceptions, couplée à une réforme des statuts perturbe la situation professionnelle des rééducateurs. Si actuellement la concurrence n’est plus à l’ordre du jour, notamment entre les R.A.S.E.D. et les C.M.P.P., l’institution expose toujours sa difficulté à identifier la spécificité de la pratique rééducative. Admettons que la dérive de certains psychologues et rééducateurs scolaires ne calme pas les craintes de l’employeur.
La distinction entre les dominantes des pratiques rééducatives a mis en évidence que seule celle qui se situe dans le relationnel pose problème dans l’institution. Elle est souvent associée et confondue à la psychothérapie. Hormis, des rares cas patents de dérives, cette confusion relève d’une représentation faussée par l’identification superficielle des techniques utilisées. Profitons de l’occasion pour rappeler les trois niveaux de la psychothérapie : le premier est universel et dépend d’un regard, d’un geste ou d’une parole ; le second est une attitude implicite et le dernier est explicite : celui du thérapeute qui conduit une psychothérapie à la demande express d’un patient après information. La rééducation pourrait être repérée sur les deux premiers niveaux de cette échelle sommaire comme le démontre Jacqueline MARTIN-HERBERT :
‘« […] la rééducation a des effets favorables sur la personnalité, qu’elle permet des levées de défenses paralysantes et une maîtrise progressive d’une part d’angoisse, ce qui entraîne des déblocages, des dépassements d’impasse ou de fourvoiements, bref, qu’elle a des effets thérapeutiques non négligeables, dont l’incidence est élargie par l’accueil positif du changement dans les milieux de vie de l’enfant avec lesquels nous sommes en contact. » 447 ’Cette opportunité n’a pu se réaliser qu’en raison de la circulaire du 9 avril 1990 en ouvrant un espace intermédiaire entre la pédagogie et la thérapie. Cette aire intermédiaire permet à la réalité psychique inconsciente d’émerger et de s’élaborer.
En comparant les relations pédagogique et psychothérapeutique, nous avons montré que la relation rééducative se situe à un carrefour dangereux dessinant un entre-deux plein. Ce croisement contribue à expliquer la confusion exprimée par un grand nombre d’observateurs de la rééducation.
Le détour par la forme scolaire a permis de définir l’originalité de la forme rééducative. Son existence à l’école assure l’institution d’une indépendance de la prise en charge des difficultés des élèves. Elle permet d’éviter l’effet imparable d’étiquetage de l’anormalité de l’élève. Comme l’avance Alain MINGAT, s’il existe un effet d’étiquetage propre à la rééducation – qui reste à confirmer par un suivi de cohorte par exemple – il sera moindre que celui lié au doute sur la normalité.
L’analyse attentive des rapports d’enquêtes prouve que les investigations sont souvent conduites à décharge pour les rééducateurs sans que soit rappelée leur contribution à la démocratisation de l’école en faisant réussir le plus grand nombre : les rééducations qui réussissent sont plus nombreuses que celles qui échouent et leur effet est positif 448 .
Cet ensemble plaide donc pour décrire un paysage institutionnel hostile à l’émergence de l’identité professionnelle des rééducateurs. La pluralité des lieux d’action, la naissance de la rééducation dans un climat concurrentiel, la situation d’échec scolaire qui inaugure la prise en charge rééducative, l’ambiguïté de la relation et l’incompatibilité formelle entre école et rééducation constituent des arguments expliquant l’inscription difficile des rééducateurs dans l’institution scolaire. Ils l’expriment par leur trouble identitaire.
Toutefois, toutes ces particularités ne justifient en rien leur exclusion de l’école. Leur présence crée un espace transitionnel unique assurant une fonction intermédiaire entre trois instances : la classe, la famille et les lieux de soins. Le rééducateur est un pédagogue au sens premier en faisant passer les enfants de leur monde singulier dans celui du savoir et de la société comme le rappelle Jacques LEVINE :
‘« Le rééducateur est celui qui pratique une pédagogie de la transitionnalité. Il essaie donc de faire passer des enfants qui sont dans une pensée pré-rationnelle, dans le syncrétisme, qu’on appelle la pensée syncrétique, la socialité syncrétique, à une pensée rationnelle, au social. Le rééducateur est un passeur. » 449 ’La figure de Janus sera convoquée pour décrire ce rôle de passeur, unique et original dans l’école.
HERVE (Guy), Intervenir en R.A.S.E.D., Mémoire de maîtrise en Sciences de l’Education, Université LYON II, 1995, p 166.
MARTIN-HERBERT (Jacqueline), op. cit., p 416.
Rapport de l’Inspection Générale, Les réseaux d’aides aux élèves en difficulté, op. cit., p 45.
LEVINE (Jacques), op. cit.