L’identité sociale

L’identité sociale, résultant de la socialisation, s’acquiert tout au long de la vie selon un processus et des transactions. Ils peuvent être décrit selon six critères en suivant les travaux d’A. PERCHERON 492 dans la continuité des travaux de Jean PIAGET en se déplaçant des processus sur les échanges. La transaction correspond ici aux deux processus piagétiens, assimilation et accommodation. La socialisation résulte d'une représentation du monde. Chaque individu compose cette représentation en mélangeant l'existant et l'original. Ses aspirations et ses expériences sont parties prenantes. Parcourons les six critères en nous rapprochant des rééducateurs :

  • La socialisation résulte d'une transaction entre le socialisé et les socialisateurs dont les renégociations sont permanentes. Les valeurs du groupe seront sollicitées. Le rééducateur stagiaire ou aspirant recherchera les valeurs prônées par les rééducateurs déjà en poste, par les formateurs ou par l’institution, au travers des textes officiels, de la littérature professionnelle et des temps de rencontre. Le temps de formation est un temps exceptionnel de socialisation et aussi de déstabilisation notamment en mettant en valeur les temps d’échange lors des stages pratiques avec l’accompagnement d’un rééducateur d’accueil.
  • La socialisation se développe à partir d'une certaine représentation du monde, composée d'autres représentations et des aménagements apportés par l'individu. Ici, la représentation sera la forme rééducative évoquée dans la première partie de la recherche : les conceptions de la rééducation. Cette représentation motivera un enseignant ordinaire à candidater à la certification soit en candidat libre soit en suivant une formation initiale. Cette représentation s’acquiert par étapes successives en suivant le processus ordinaire d’apprentissage par essai et erreurs. Les mouvements seront décrits dans le chapitre sur la socialisation professionnelle.
  • La socialisation est latente et impersonnelle et découle d'un apprentissage informel et implicite. Aucun temps n’est instauré dans les formations à ce titre, hormis les moments où les ressentis sont analysés en groupe avec un psychologue en analyse de la pratique ou avec la formatrice afin de tirer profit des évènements. Ces derniers constitueront des expériences par la suite si l’analyse a permis de les théoriser.
  • La socialisation permet à l'individu de disposer d'un code symbolique lui fournissant un système de référence et des moyens pour évaluer le réel; l'acquisition d'un code symbolique résulte de transactions entre l'individu et la société ; des compromis doivent être construits entre les désirs individuels et les valeurs collectives. Pour les rééducateurs, il s’agit plus précisément d’un corpus de théories de référence, d’instructions officielles (circulaires et lois) et d’écrits évaluatifs ou appréciatifs (avis des formateurs, des I.E.N., des Inspecteurs Généraux, etc.). Le recueil des bibliographies des mémoires professionnels montre que les auteurs les plus cités se situent dans leur grande majorité dans le champ psychologique : citons dans l’ordre d’importance, D.W WINNICOTT, Yves de LA MONNERAYE, Jean-Luc GRABER, Françoise DOLTO, Françoise COUTOU-COUMES, Grégoire EVEQUOZ, Ivan DARRAULT-HARRIS, J. de AJURIAGUERRA, J.P. DURIF-VAREMBONT 493 Parmi ce champ théorique, la psychanalyse est la plus représentée juste avant la psychopathologie.
  • La socialisation est l'identification du sujet au groupe. Elle est élaboration d'une identité qui va dépendre des différents groupes d'appartenance, de l'ambivalence qu'ils vont susciter chez le sujet et des emboîtements successifs qui vont se produire. Le langage sera l'outil qui permettra aux identifications de s'exprimer. Sa cohérence sera celle de l'identité. Les rééducateurs disposent d’un corps professionnel homogène par l’origine commune puisqu’il est requis d’être enseignant avant de postuler au C.A.P.S.A.I.S. G. (ceci ne signifie pas que tous les rééducateurs soient en accord sur les conceptions de la rééducation). La pluralité des avis permet une vie importante dans les associations locales (A.R.E.N.). La F.N.A.R.E.N. a contribué à fédérer le corps. Elle sait se faire entendre auprès des instances dirigeantes lorsque ses opinions ne sont pas entendues. La consultation des archives des Cahiers de Beaumont a permis de constater qu’aucun colloque n’a jamais existé ni sur le métier ni sur l’identité des rééducateurs : ils ont été conviés à participer à différents séminaires et colloques mais leur singularité n’a jamais été mise en avant.
  • La socialisation est un processus de construction d'identité. L'individu appartient à des groupes et noue des relations privilégiées avec d'autres individus. Appartenir à un groupe, c'est prendre en charge son passé, son présent et son projet. La multiplicité des groupes d'appartenance rend complexe l'identification. La difficulté pour le nouveau rééducateur réside dans ce changement identitaire d’une posture d’enseignant ayant comme mission d’enseigner un contenu prédéfini à celle d’un enseignant devant susciter chez l’élève un désir d’apprendre et une régulation des comportements. Le temps de formation constitue une période essentielle dans ce processus de construction identitaire. La présence d’une équipe de formateurs, l’instauration d’un cadre contenant et sécurisant, l’adhésion à un projet de formation et la mise en place de temps de régulation se révèlent favorables (voire essentiels) au passage d’une identité à une autre. Sans ces balises, les transformations seraient occultées, déniées, angoissantes, ou élevées au rang d’obstacles.

En psychologie sociale, le concept d’identité « exprime la résultante des interactions complexes entre l’individu, les autres et la société. » 494 Ainsi, « l’identité […] implique une définition de soi par les autres et des autres par soi-même. » 495 Ces deux mouvements sont décrits par Claude DUBAR comme deux processus complémentaires : le processus relationnel et le processus biographique. L’identité n’est donc pas une notion en soi, issue d’un individu comme une création autonome et distincte, mais comme un processus interactif reliant l’individu à son environnement. L’identité sociale est un système enrichi des valeurs et des désirs du sujet, ici l’acteur social.

Pour la perspective psychanalytique, l’identité est une synthèse du personnel et du social, déterminée par « quatre éléments essentiels : la confiance en soi ; le caractère stable des éléments individuels ; l’intégration du Moi ; l’adhésion aux valeurs d’un groupe et à son identité. » 496 Le mouvement est double de l’individu vers le groupe et du groupe vers l’individu. Le sentiment de bien-être sera éprouvé par l’individu « s’il accepte et fait siennes les valeurs qui lui sont proposées. » 497 Le lien indissoluble de l’individu à son environnement impose donc, dans toute analyse, un respect de son contexte.

Notes
492.

PERCHERON (A), L'univers politique des enfants, in DUBAR (Claude), 1991, op. cit., p 24

493.

Cf. Annexes 5 et 6

494.

FISHER (Gustave-Nicolas), op. cit., p 176.

495.

Ibid., p 176.

496.

Ibid., p 178.

497.

FISHER (Gustave-Nicolas), op. cit., p 178.