Le professionnel
La définition du professionnel n’est pas simple à dégager. En 1968, T. PARSONS
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définit un modèle du professionnel, la référence étant celle du médecin. Cette référence pourrait s’accommoder actuellement de critiques et d’assouplissements. La référence au modèle libéral est trop forte. Elle dévalorise implicitement toutes les autres formes de professionnalité. Pourtant, un aspect fondamental est à conserver : la responsabilité du professionnel. En effet, le professionnel de type libéral peut voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance, ce qui n’est pas le cas pour les employés ou les fonctionnaires (au moins dans un premier temps puisque l’Etat, à sa discrétion, se réserve un droit de recours dans un second temps).
Trois dimensions décrivent le rôle :
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son savoir articule une double compétence : la première est théorique (acquise après une longue formation et sanctionnée par un diplôme), et la seconde est pratique (ancrée dans l'expérience d'une relation bienveillante). Le rééducateur bénéficie d’une formation d’un an au moins en ce qui concerne les apports théoriques et pratiques en I.U.F.M.
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(une « seconde année » de formation en poste afin de préparer l’unité de spécialisation – US 3 – composée de trois semaines de regroupement en centre de formation). Les projets de formation proposés par les formateurs référents des options sont validés par le directeur de l’I.U.F.M. Ils doivent respecter le cahier des charges des formations en développant les contenus qui respectent le référentiel de compétences de l’option
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. Les contenus théoriques sont présentés sous forme de cours, de conférence et de travaux de groupe. L’apport pratique est réalisé par différents stages dont celui en résidence chez un maître d’accueil en R.A.S.E.D. Des formations C.A.P.S.A.I.S. existent au gré des initiatives académiques ou départementales : elles sont diverses et peuvent se rapprocher des I.U.F.M. pour compléter leur organisation comme c’est le cas des formations en cours d’exercice pour les options D, E et F dans les départements du Rhône, de la Loire et de l’Ain. L’option G ne fait pas partie de ces options.
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sa compétence spécialisée offre une double capacité : sa technique est spécialisée et son autorité s'exerce sur un domaine fondant son pouvoir de prescription. Le rééducateur acquiert une compétence spécialisée, distincte de celles acquises par les autres options du C.A.P.S.A.I.S., mais disposant de parties communes puisées dans le référentiel de compétences commun
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: nous constatons que les missions de tous les maîtres spécialisés sont identiques mais s’expriment différemment (mission d’enseignement spécialisé, mission de prévention et d’intégration et mission de relation). Un référentiel par option décline ces spécificités
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. Une particularité est à remarquer : le rééducateur doit développer une mission d’enseignement alors que cela ne fait pas partie de ses tâches pratiques. La distinction n’a pas été opérée sur le plan des référentiels alors que nous l’estimons nécessaire. Si elle na pas été opérée, nous pouvons supposer qu’il fallait gommer la spécificité de la rééducation. Bien entendu, le mot rééducateur n’apparaît pas, alors que les dérivés de rééducation sont légion : son intervention est rééducative, le processus est rééducatif, les aides sont à dominante rééducative, son projet est rééducatif, le contrat est rééducatif et il réalise des rééducations. Son domaine lui est réservé (personne d’autre que lui ne peut engager de rééducations) d’une manière exclusive puisque, à notre connaissance, aucun poste de rééducateur n’est assuré par des personnels non formés – ce qui n’est pas le cas pour les autres postes spécialisés puisque plus de 8000 postes C.A.P.S.A.I.S. sont assurés par des enseignants non spécialisés. La notion de prescription doit être ici élargie à celle de décision consentie réciproquement par les partenaires de réaliser une rééducation : il n’est pas possible d’imposer une rééducation à un élève comme il n’est pas possible d’imposer une rééducation à un rééducateur (ce serait le cas si une commission décidait des actions à engager).
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son intérêt est détaché : le professionnel est neutre affectivement. Son intérêt est empathique pour le client et son attente est inconditionnelle. Il en est de même pour le rééducateur qui, de part sa mission d’enseignant public et son éthique, se doit d’accueillir toutes les personnes comme elles sont, d’une manière inconditionnelle. L’analyse des mémoires professionnels confirme que cette caractéristique est présente mais n’abolit pas les mouvements affectifs qui restent à contrôler.
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Le rôle professionnel se réalise dans l'interaction avec son client : cette interaction suppose un désir chez le client, une autonomie liée à la limitation du champ professionnel et l'indépendance de ce dernier vis à vis de la hiérarchie et la puissance publique (notamment le secret professionnel). Le rééducateur répond à ces attributs si l’on accepte, pour la démonstration, d’assimiler l’usager du service public au client du médecin : le rééducateur n’est pas directement rémunéré par la famille puisqu’il est un fonctionnaire et donc qu’aucun échange financier ne s’effectue. Son indépendance est partielle vis à vis de la hiérarchie représentée par l’I.E.N. puisque sa mission est définie par un texte officiel. Malgré cela ses actions ne sont pas prescrites explicitement : il doit développer un projet rééducatif original pour chaque enfant. Les informations recueillies lors des entretiens ou des séances rééducatives sont conservées par devers lui : il ne peut les divulguer en raison de la nécessaire confidentialité que son action exige (pour l’anecdote, nous avons connaissance de R.A.S.E.D. qui, afin de manifester symboliquement cette confidentialité, brûlent les dossiers des élèves qui ont été pris en charge lorsque les enfants quittent l’école et qu’aucune demande d’information ne leur est parvenue). Sans cette confidentialité, aucun partenaire ne pourrait lui accorder sa confiance. Ce devoir de réserve ne l’exempte pas de son devoir de dénonciation si l’enfant est victime de sévices comme c’est le cas pour tout enseignant. Par exemple, à l'obligation de s'occuper du malade, le médecin réclame l'obligation de tout dire. Cette réciprocité d'obligations permet l'institutionnalisation et la professionnalisation du rôle médical dans les institutions d'exercice. Cette obligation réciproque lie aussi le rééducateur si les parents ont donné leur accord. Comme lui, il est soumis à un devoir d’action et non de réalisation.
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L'équilibre des motivations caractérise le professionnel : le besoin d'un professionnel (le client recherche un médecin) rencontre la nécessité du client (le médecin est rémunéré par ses clients). Cet équilibre existe pour le rééducateur hormis la notion de client. Dans la réalité, il est courant que le rééducateur ne puisse pas satisfaire toutes les demandes même si elles sont légitimes. Si tel est le cas, la carte d’implantation des R.A.S.E.D. des départements devrait être corrigée afin de rapprocher l’offre rééducative de la demande des écoles.
Les deux premières dimensions (savoir et compétences) sont liées par une notion originale : le savoir professionnel (cette référence a déjà été utilisée dans le premier chapitre lorsque la relation rééducative a été définie par un postulat qui avançait un savoir propre aux rééducateurs à l’instar des pédagogues et des psychologues). Nous devons maintenant élucider cette notion.
Notes
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DUBAR (Claude), op. cit., 1991, p 138