Le savoir professionnel du rééducateur

Le savoir professionnel du rééducateur relève davantage du bricolage théorique que d’un corpus théorique constitué. Nous sommes donc dans les professions mineures de GRABER. Le recueil des bibliographies du corpus des mémoires professionnels analysés montre une prédominance de la psychanalyse suivie par la psychopathologie (Cf. annexes 5 et 6). La mise en évidence, au cours de la première partie de cette recherche, du croisement engagé entre pédagogie et psychothérapie afin de définir la relation rééducative, nous confirme dans cette affirmation du bricolage. Jeannine HERAUDET-DUVAL reconnaît« le bricolage plus intuitif que rationnel » 510 . Le travail du rééducateur relève du tâtonnement créatif, de l’approche clinique, puisque les fins restent inconnues : que peut-on prévoir de ce qui va advenir chez l’enfant après la rééducation ? Ces savoirs sont essentiellement des savoirs d’expérience. La forte présence des comptes-rendus d’expériences rééducatives dans les pages de la revue « Envie d’école » plaide en ce sens. Rappelons l’importance accordée par les candidats C.A.P.S.A.I.S. G eux-mêmes quant au « mystère » de la rééducation qui a été développé dans le chapitre consacré aux représentations du métier en première partie. Cette particularité professionnelle rappelle le cas des personnes qui réfléchissent tout en agissant. Le modèle rééducatif exposé précédemment a montré l’importance de l’installation du cadre rééducatif et les tentatives déployées par le rééducateur. Le déroulement étant imprévu, le rééducateur doit se forger une théorie tout en agissant, comme « un chercheur dans un contexte pratique » 511 . De fait, « il ne dépend pas des catégories découlant d’une théorie et d’une technique préétablie mais édifie une nouvelle théorie du cas particulier » 512 . L’injonction la plus délicate affectée au rééducateur est d’agir car « il ne sépare pas la réflexion de l’action, il ne ratiocine pas pour prendre une décision qu’il lui faudra plus tard convertir en action. » 513 Ceci explique l’importance cruciale que revêt l’apport théorique en formation.

Nous pouvons nous rapprocher de Gaston MIALARET 514 lorsqu’il évoque le savoir praxéologique de l’éducateur. Nous évacuons les deux premiers niveaux 515 qui sont développés par cet auteur soit le savoir impulsif de premier niveau inadapté à la situation et le savoir fermé sur lui-même évacuant toute créativité. Ces deux savoirs sont contraires à la pratique rééducative (comme à toute pratique éducative du reste !) puisque l’analyse de la séance serait impossible par la suite et aussi parce que la créativité est la composante majeure du métier de rééducateur. Le troisième niveau relève davantage de la rééducation puisqu’il s’agit de fournir« une réponse adaptée aux exigences de la situation » et « considérée par le sujet comme la recherche d’une solution ‑ originale éventuellement ‑ aux problèmes rencontrés dans la réalité quotidienne. » 516 Ce savoir relève de l’expérience dans la mesure ou les observations sont intégrées à la personnalité du sujet. Tout événement ne constitue pas une expérience, le retour sur elle et sur une théorie explicative est nécessaire pour élever l’événement au statut d’expérience. L’expérience est construite, l’événement est vécu. L’écueil majeur de ce savoir pratique réside dans son mode d’acquisition : il est strictement personnel. L’intégration dans la personnalité rend inconscient son adoption et difficile sa critique. L’expérience ne rime pas obligatoirement avec progrès car le sujet peut soit profiter de ses activités par la réflexion soit s’enfermer dans une confirmation sclérosante des ses préjugés. Afin de passer de l’expérience sclérosante à l’expérience enrichissante puis enfin à l’expérience de type scientifique, le rééducateur comme l’enseignant doit emprunter« des modalités plus objectives, avec un certain souci de contrôle objectif des effets, d’évaluation (même si cette évaluation reste d’ordre qualitative). » 517 Ce souci d’objectivité engagera l’enseignant à coopérer avec ses collègues afin d’opérer des comparaisons. C’est exactement ce qui est mis en jeu par les rééducateurs, dans un premier temps au sein même du R.A.S.E.D. lorsque les actions sont évaluées, dans un second temps, lors des séances d’analyse de la pratique, ensuite dans un autre temps, lors des moments de formation continue et enfin, au travers de la littérature professionnelle comme les revues soutenues par la F.N.A.R.E.N. où apportant un éclairage du travail clinique. Une étude particulière resterait à engager quant aux effets probables de la consultation orientée des mémoires professionnels qui constituent aussi une mémoire de la profession : « On peut malheureusement remarquer que, la plupart du temps, cette « expérience » des maîtres est presque totalement perdue parce qu’elle reste personnelle et non communiquée. » 518 . Ces mémoires restent encore trop inertes et inusités sur les rayons des bibliothèques des I.U.F.M. Ils constituent un savoir praxéologique commun à un corps, nécessaire pour faire vivre une profession hybride et convoitée par les partenaires éducatifs. La consultation des revues de la F.N.A.R.E.N. montre une ouverture théorique susceptible d’enrichir cette réflexion originale sans réduire la prévalence de la psychanalyse dévoilée dans les bibliographies.

Ce savoir praxéologique est justifié par le fait que les situations problématiques en rééducation comme en éducation sont plus nombreuses que les situations circonscrites dans la rationalité technique. La pratique professionnelle rencontre davantage d’individualités que des généralités. Au delà l’approche techniciste, les professionnels développent une approche fondée sur l’art et l’intuition pour s’adapter aux cas particuliers. Selon SCHÖN519, cet art de la pratique est une « réflexion en action ». Le professionnel répond à l’imprévu en changeant ses stratégies, ses théories et son diagnostic du problème. Il réalise trois mouvements : l’exploration, la construction d’hypothèses et l’action. Le savoir est dans l’action, nous pourrions dire dans la capacité d’agir. Le professionnel met en œuvre une pensée syncrétique, efficace mais signalant une faiblesse de la conscience. Cette réflexion en action, outre qu’elle signale une intelligence à l’œuvre longuement méprisée par les écoles professionnelles, est très couramment mise en place dans la réalité : rares sont les cas en éducation comme en rééducation où les solutions préexistent aux problèmes. Si tel était le cas, l’action apparaîtrait superflue voire nocive.

Mais le rééducateur est et demeure aussi un enseignant. Son détour professionnel nous impose à présenter des conceptions de la profession enseignante même s’il ne l’est plus véritablement.

Notes
510.

HERAUDET-DUVAL(Jeannine), op. cit., http://theses.univ-lyon2.fr/Theses1998/ jduval/these.html.

511.

SCHÖN (Donald A.), « A la recherche d’une nouvelle épistémologie de la pratique et de ce qu’elle implique pour l’éducation des adultes » in Savoirs théoriques et savoirs d'action, sous la direction de BARBIER (Jean-Marie), 2ème éd., 1996; Paris, PUF, 1998, p 210.

512.

SCHÖN (Donald A.), op. cit., p 210.

513.

SCHÖN (Donald A.), op. cit., p 210.

514.

MIALARET (Gaston.), « Savoirs théoriques, savoirs scientifiques et savoirs d’action en éducation » in Savoirs théoriques et savoirs d'action, sous la direction de BARBIER (Jean-Marie), 2ème éd., 1996; Paris, PUF, 1998, p 161.

515.

Ibid., p 164.

516.

Ibid., p 164.

517.

MIALARET (Gaston), op. cit., p 169.

518.

Ibid., p 162.

519.

BOURDONCLE (Raymond), op. cit., (1993), p 97.